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Le pays foyen
2 octobre 2007

Une source de l'histoire des mentalités : les romans populaires de l’entre-deux-guerres

Les romans populaires apparaissent dans les années 1860. La Revue des Deux-Mondes publiait les meilleurs, signés par Georges Sand et d'autres écrivains célèbres. Appartenant à ce l'on appelait autrefois "une littérature de bas étage", une multitude de romans d'amour étaient publiés en feuilletons vendus quelques sous. Les rebondissements les plus inattendus tenaient les lecteurs en haleine.

A cette veine appartiennent les romans populaires d'amour de l'entre-deux-guerres.

L'entre-deux-guerres fourmille de romans populaires à l'eau de rose. Les récessions dues à la Grande Guerre avaient amené les éditeurs à les imprimer sur un papier de qualité médiocre. Leur prix de vente, très bas, les mettait à la disposition des petites gens. L'illustration de la couverture reprenait une scène emblématique du livre, attirait l'attention et tentait de séduire un futur lecteur.

Ces romans présentent une riche variété de personnages et de situations directement inspirés de la vie quotidienne. Héros et héroïnes appartiennent à toutes les classes sociales.

A défaut de partager une même éducation et une même aisance, ils ont en commun des valeurs morales profondément ancrées. La collection Bayard prône la bonne parole catholique et d'autres collections répandent les vertus républicaines. Cette distinction se marque souvent avec une vigueur conflictuelle. Selon les points de vue, la religion donne son assise morale à la société, ou, pour les républicains, elle pervertit l'épanouissement de l'individu. Cependant, le souvenir de la Grande Guerre, si proche, réunit les uns et les autres dans un même patriotisme.

camif21    Henry Franz, Le Choc, 1925.

camif21    Paul Raymond, la guerre sous terre, Collection "Patrie", 1917.

Ces petits fascicules décrivent la société de leur temps, avec ses règles strictes et ses interdits, ses classes sociales figées et son code de bonne conduite. La collection Bayard chante les vertus d'une France rurale dure au travail. Des siècles de catholicisme ont donné à ces campagnards des valeurs morales qui leur permettent d'affronter dignement la vie. Pour les auteurs de la collection Bayard, le danger vient de l'instituteur républicain, du candidat communiste à la députation et de la ville. Cette France traditionnelle des terroirs ne va pas tarder à disparaître.

camif21    C. Sennival, Le rêve du vieux Lucas, 1932.

Qu'ils appartiennent à une collection catholique ou à une collection républicaine, ces romans se réfèrent à la morale enseignée alors dans toutes les écoles. Les défauts trouvent leur juste punition et ceux qui dérogent sont sanctionnés par la société ou le destin.

Dans ce contexte, un couple se forme. L'échange des déclarations d'amour ne suffit pas à établir leur bonheur. L'homme et la femme doivent harmoniser leurs milieux sociaux respectifs, leurs familles et leur patrimoine. Si ces trois éléments ne sont pas équivalents, l'amour et surtout le mérite personnel permettent d'atteindre un équilibre qui justifie le mariage aux yeux de tous. On peut échapper à sa condition modeste et s'élever dans la société par le mérite, la compétence et aussi, en fin de compte, par le mariage.

Le thème de l'enfant abandonné ou enlevé à sa famille a encore les faveurs du public. Ce thème avait connu un succès durable avec la publication de Sans Famille d'Hector Malot, en 1878. Depuis, il apparaissait régulièrement dans des livres de prix. Quelques romans populaires de l'entre-deux-guerres lui sont consacrés. En voici plusieurs, publiés dans la collection Bayard, avec le nom de l'auteur et l'année de publication :

camif21    G. de Saillans, Le secret de Lady Deswhire, 1929.

camif21    Y. Grimont, Le Noël de l'abbé Férou, 1930.

camif21    Georges de Lys, Sans feu ni lieu, 1932.

camif21    Isabelle de Mons, L'Enfant qui fut vendu, 1932.

camif21    F. Saint-Aignan, Richard, 1935.

Richard présente la particularité de mettre en scène un jeune métis qui ne déroge pas aux exigences de sa classe, la petite bourgeoisie, même s'il est mal accepté par son groupe social à cause de la couleur de sa peau. Il meurt à la fin du roman en sauvant une personne. Ses qualités éclatent alors aux yeux de tous, même s'il est trop tard pour s'en réjouir en sa compagnie. De son vivant, on renâclait à intégrer ce jeune métis. Devant son corps, l'héroïne dit : "il nous a pardonné". C'est le mot de la fin.

Dans d’autres romans, l'enfant perdu, recueilli par des gens modestes, atteint, en grandissant, le niveau social des siens, par ses propres mérites, et retrouve sa famille à la fin de l'ouvrage.

A-t-on besoin d'utiliser ces romans populaires de l'entre-deux-guerres pour étudier l'époque de leur publication ? Pourquoi pas : pour aborder une étude des mentalités, ils offrent des matériaux aussi riches que variés. En voici un exemple, avec les dernières lignes de La Colombe et les Eperviers, de Th. Esnée, publié par Bayard en 1932 :

"Et l'on alla à l'Exposition coloniale. On l'admira, on s'y amusa, on eut des émotions patriotiques.

Combien la France est grande, et qu'elle est pacifique avec tous ces pays d'outre-mer qui l'aiment, et qui, après l'avoir loyalement servie pendant la grande guerre, se réjouissent d'être à l'honneur de cette manifestation mondiale.

Et qui les y a amenés ?... Les missionnaires, les hommes en robe noire, les femmes en cornette blanche, la croix à la main, qui ont fait les premiers pas dans les déserts, au fond des oasis, dans les campements de nomades cruels, dans les royaumes nègres, dans les villes puissantes et fanatiques des jaunes, afin d'y propager la foi, la douceur du règne de Jésus.

Aussi les missionnaires sont-ils véritablement chez eux dans la cité prodigieuse bâtie au milieu du bois de Vincennes, avec ses tours sculptées, ses minarets, ses hauts murs rouges, ses palais des Mille et une Nuits, ses bengalow, ses paillotes, ses cases sur pilotis, ses souks et les innombrables pavillons qui renferment tous les trésors imaginables, ceux de la nature et ceux de l'industrie ; avec ces gens de toutes les couleurs, ces magnifiques spahis, ces élégants chameliers, ces Annamites en uniforme de poilus, et ces visiteurs innombrables, paisibles, heureux de jouir de la plus belle fête qui puisse être donnée au riche aussi bien qu'au pauvre.

Satan n'est pas content ; Satan, la nuit, erre, une torche à la main. Mais Satan est l'éternel vaincu. Dieu protège l'Exposition coloniale où, dans son temple vivant, des foules compactes et recueillies viennent entendre la messe qui se dit et se redit sans cesse durant la matinée de dimanche.

Ce fut dans le pavillon des Missions qu'Aristide et Colombe se fiancèrent, la main dans la main, debout entre leurs parents, parmi les fidèles qui assistaient, comme eux, au Saint Sacrifice".

Ce long passage illustre un aspect bien connu de la colonisation. Les romans populaires apportent des informations précises sur beaucoup d'autres thèmes : l'éducation, la famille, le sens de la vie, les relations sociales, le choix et l'exercice d'une profession, etc...

camif21    V. Féli, Un Mystère, 1930.

Enfin, ces romans moralisateurs apportent un sens de la vie qui tient à des valeurs menacées à l'époque : la morale catholique, le rejet de la république des libre-penseurs, des protestants et des communistes, la glorification des terroirs et des provinces, l'apologie de l'agriculture ("la terre ne meurt pas"), le respect de la hiérarchie sociale et encore plus du chef. La centaine de romans de la collection Bayard que j'ai parcourus fut publiée à la charnière des années 1930. On sait l'ampleur que ces valeurs prirent qualques années plus tard, autour du maréchal Pétain, avec l'Etat français.

camif21    L'intrigue de "L'héritage" se déroule dans les Landes, en pleine crise agricole. Ceux qui gardent les valeurs traditionnelles que j'ai citées finissent par triompher.

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