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Le pays foyen
19 novembre 2007

Quand la Grosse Bertha bombardait Ligueux

Je vous ai parlé du casino Rey et vous avez vu des cartes postales montrant cet établissement, dans les posts "en allant à la gare" et "L'Hôpital temporaire de Sainte-Foy". Les albums proposent quelques cartes postales réalisées par un photographe foyen, Jean-Baptiste Curet, dans les années 1910.

Ce sont le lieu et le héros d'une farce que je vais vous raconter.

Le 23 mars 1918, à partir de 7 h 15, les Parisiens furent assez étonnés d'entendre plusieurs explosions à un quart d'heure d'intervalle et de ne voir aucun avion dans le ciel. Ils ignoraient que les Allemands bombardaient Paris avec un canon gigantesque : le tube mesurait 34 mètres de long (!), les obus faisaient entre 210 et 240 mm de diamètre et pesaient 103 kg. Il fallait entre 143 kg et 200 kg de poudre pour les lancer. La portée du canon était de 108 kilomètres et certaines sources donnent 130 kilomètres. Pendant quatre mois, ces canons envoyèrent 351 obus sur la capitale. Parfois, on les déplaçait pour éviter de les faire repérer ou pour les éloigner de la ligne de front. Le dernier obus fut tiré le 9 août 1918.

camif21    camif21

Le canon qui bombarda Paris.

Wikipédia, qui donne ces renseignements ajoute que les effets de cette arme furent surtout psychologiques. On nomma ce canon la "Grosse Bertha" - ce qui est une erreur, la Grosse Bertha étant une autre pièce d'artillerie allemande. Sa réputation épouvantable s'envola au delà de ses possibilités de tir pour atteindre Sainte-Foy et plonger ses habitants dans l'incertitude et la désolation. Je sais que dans les heures qui suivirent ce premier bombardement du 23 mars 1918, le téléphone et le télégraphe portèrent la nouvelle de cette mystérieuse attaque dans le monde entier, mais je n'insiste pas puisque cette histoire se déroule dans notre bonne ville de Sainte-Foy.

Certes, les foyens n'en savaient pas plus que les autres : d'où venaient les obus qui avaient atteint Paris ? On l'ignorait. On avait cru à une attaque aérienne, les alliés avaient sillonné le ciel sans voir d'avions ennemis. On avait soupçonné les Allemands d'avoir secrètement installé des pièces d'artilleries dans des endroits déserts situés à l'arrière du front et à proximité de la capitale. On entreprit des fouilles et on ne trouva rien. Les spécialistes de la balistique expliquaient que le front étant fort éloigné de Paris, il était impossible qu'un canon atteigne la capitale depuis les lignes ennemies.

Le mystère subsistait et nourrissait l'angoisse. Tout pouvait arriver, et à Sainte-Foy, c'est ce qui arriva.

Un jour, un quidam se précipita chez le photographe, Jean-Baptiste Curet : "Un obus de la Grosse Bertha vient d'exploser à Ligueux". Ligueux est une commune charmante du canton de Sainte-Foy. L'homme était affolé. Curet ne put rien tirer de son discours haché. La catastrophe venait de se produire à quelques kilomètres de Sainte-Foy ! Curet réagit en professionnel. Il installa son appareil photo sur le porte-bagage du vélo, il ajouta suffisemment de plaques noires et il démarra. Il serait le premier photographe à atteindre la zone sinistrée.

Le quidam avait en le temps de se rendre au Casino Rey. Ses copains l'attendaient en sirotant un vin cuit.

- "Alors, il a marché ?

- Il court, tu veux dire ! Je m'assois, il ne va pas tarder".

Quelques gorgées plus tard, Curet passa devant eux comme un bolide. En travers du porte-bagage, il y avait le gros appareil photographique en bois, les copains virent la caisse avec les plaques en verre, mais Curet était déjà passé : il pédalait à toute berzingue, disait l'ami qui me raconta cette histoire. Curet partait immortaliser les dégats provoqués par un obus qui avait raté Paris pour venir se perdre 545 kilomètres plus loin, à Ligueux.

Les autres, extasiés par un vin cuit qui se bonifiait d'un verre au suivant, se partageaient entre les commentaires, les éclats de rire et le soulagement. Ils savaient que l'obus de Ligueux ne ferait qu'une victime.

On me raconta cette blague il y a une trentaine d'années. Mais vous voyez, on en parle encore !

camif21    Au second plan, le café du casino Rey. près de leur table, trois copains posent pour le photographe.

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Commentaires
P
Une belle histoire !
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