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Le pays foyen
14 mars 2008

Une position de travail utilisée jadis : le corps penché

n_rac_1

Cette carte postale fut éditée vers 1905, elle a circulé en août 1907. Elle concerne Nérac et pourtant, je la présente dans mon blog sur l'histoire du pays foyen. Elle montre neuf laveuses autour du lavoir. A l'arrière-plan, en haut du chemin, on distingue deux femmes et un homme.

C'est la position des laveuses qui m'intéresse : elles ne sont pas agenouillées derrière leur planche à laver, elles sont debout, le haut du corps penché. Autrefois, cette position de travail était fréquente. C'était celle que les femmes prenaient pour laver le ligne, ramasser l'herbe pour les lapins, c'était la position des femmes et des hommes pour s'occuper des jardins, glaner et vendanger. Il en est resté une expression aujourd'hui vieillie : "se pencher sur son travail". Mais on se penche beaucoup sur un dossier, une question, un problème, etc...

Cette position pour travailler se retrouvait aussi dans de la vie quotidienne.

Victor Hugo avait évoqué cette attitude du corps penché dans une phrase restée fameuse : "C'était la saison des vendanges ; de la route où nous passions, on apercevait, jupes courtes et penchées vers la terre, des cultivatrices dont on voyait surtout la première syllabe".

Il s'agit d'abord de réunir une documentation sur ce sujet. Elle sera ainsi présentée :

1 - Les laveuses

2 - Le jardinage

3 - Les travaux des champs et les vendanges

4 - Métiers divers

5 - La vie quotidienne.

Elle concerne les activités auxquelles j'ai pensé et sur lesquelles j'ai trouvé un minimum de documentation.

Viendra ensuite une rapide esquisse historique. Mais ce sujet relève-t-il de l'histoire ou de l'ergonomie ?

1 - Les Laveuses

Nous avons vu le lavoir près de Nérac. Voici d'autres documents :

agen_2   Les laveuses du Canal Latéral à Agen. On aperçoit une laveuse agenouillée au second plan.

Agen_1    Les laveuses sur la Garonne à Agen. Elles sont toutes penchées.

laveuse1    Lavandières dans le Béarn.

Erpa nous apporte une information précieuse : "A Saint-Sulpice près d'Eymet, à côté du lac de Lescourroux, dans un rocher, se trouve un antique lavoir où les pierres gardent la marque des genoux ! De plus les lavandières étaient à l'abri du soleil, de la pluie et du vent".

Beaucoup de laveuses s'agenouillaient derrière leur planche à laver, et c'est ce souvenir que je garde des dernières femmes qui lavèrent leur linge dans la Dordogne, à la fin des années 1950.

Voici une carte postale éditée en 1906 ou 1907 :

astruc_383    Au premier plan, les laveuses sont agenouillées ; au second plan, elles sont debout et penchées.

astruc_383bis    Au premier plan, une laveuse agenouillée ; une autre se penche pour essorer un linge.

astruc_376    Une laveuse penchée en train de laver son linge. Carte postale éditée en 1906 ou 1907.

Certaines laveuses lavaient leur linge à genoux et d'autres debout et penchées. Question d'habitude, de confort ou d'âge ? Je n'ai pas la réponse à cette question. La photo suivante ne simplifie rien. Elle montre une équipe de jeunes colons, de la Colonie agricole et pénitenciaire de Port-Sainte-Foy, en train de laver leur linge. Ils ont adopté une organisation rationnelle : ils lessivent le linge sur des tables, peut-être à cause de l'importance des lessives. La photo a été prise vers 1880 et la Colonie comptait alors une centaine de garçons et de jeunes gens.

A droite de la photo se trouve une laveuse agenouillée derrière sa planche. A sa gauche, on voit une planche libre.

guyenne

Pour tenter de définir la position des laveuses, penchées ou agenouillées, j'ai utilisé trois paramètres : l'habitude, le confort et l'âge. En voici un quatrième : la quantité du linge à laver, c'est-à-dire, les contraintes du travail. Y en a-t-il d'autres ? Qu'en pensez-vous ?

2 - Le jardinage

Je n'ai pas encore trouvé de vieilles cartes postales montrant des gens en train de jardiner et j'ai peu d'espoir de le faire : le photographe arrivait au volant de son automobile, et on sait que dans les années 1900, les automobiles étaient aussi rares que les photographes. Pour admirer ces nouveautés, les gens sortaient des maisons et abandonnaient leur travail.

J'ai donc feuilleté des revues agricoles de l'époque : elles montrent parfois des gens au travail.

liage_salades    "Liage des salades", photogravure parue dans "Le Petit Journal agricole" du 4 mars 1917.

"On repique les plants de laitue", dans le livre de "Leçons de Choses" de MM. Boulet et Chabanas, publié chez Hachette en 1937 :

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asperges    "La récolte des asperges", photogravure parue dans "Le Petit Journal agricole" du 29 avril 1917.

r_colte_petits_pois    "Récolte des petits pois dans le midi de la France", photogravure parue dans "Le Petit Journal agricole" du 27 mai 1917.

La photo suivante figure dans un ouvrage publié en 1943, "Notre Terre", chez Delmas à Bordeaux : "Voici à Saint-Vincent de Pertignas (Gironde), la plantation des pommes de terre dans un jardin collectif dû à l'initiative de la Confédération patronale girondine".

notre_terre

"On plante des pommes de terre" dans le livre de "Leçons de Choses" de MM. Boulet et Chabanas, publié chez Hachette en 1937 :

pench__3

Reprenons ces photographies de "jardinage". Seul le ramasseur d'asperges utilise un outil que l'on aperçoit dans sa main droite. Tous les autres travaillent à mains nues. A force de travailler avec le haut du corps penché presqu'à l'hozontale, ces braves gens avaient mal au dos. En pays foyens, les anciens ne disaient pas "j'ai mal au dos". J'ai vu de vieux paysans, assis sur une chaise, les mains sur les genoux, lâchant dans un souffle : "ah ! la terre est basse"... 

3 - Les travaux des champs et les vendanges 

Des monnaies et des timbres célébrèrent la fière attitude de la Semeuse, marchant contre le vent. Sauf qu'on ne sème pas contre le vent. A propos des paysans de Gaillac, dans le Tarn, MM. les Inspecteurs précisaient, dans le rapport qu'ils rendirent en 1845 : "S’il fait du vent, le semeur se penche à mi-corps pour semer". Le semeur adoptait sa position aux contraintes du travail. Le rapport des Inspecteurs s'intitule "Agriculture française". 

En 1858, le peintre François Millet représenta Les Glaneuses dans un tableau célèbre et que jadis, les petites gens apprécièrent : dans les années 1890, on en fit des reproductions de petit format en chromolithographie que les épiciers et autres commerçants offraient à leurs clients. Longtemps, L'Angélus et Les Glaneuses décorèrent la pièce de vie dans beaucoup de maisons de la campagne foyenne. 

millet    Les glaneuses ont les genoux fléchis : elles marchent tout en ramassant les épis oubliés.

Cette attitude normale de travail, on la trouve aussi parmi les nombreuses gravures qui apparaissent dans les manuels scolaires à partir des années 1900. Ces gravures montrent un mode de vie aujourd'hui disparu. J'ai parcouru quelques livres de vocabulaire et de lecture. Celui-ci fut utilisé dès sa parution par les élèves de l'école communale de Sainte-Foy la Grande. C'est le Vocabulaire des Ecoles, cours élémentaires 1re et 2e année, que M. Fournier publia chez Gédalge en 1927.

Fournier_1

Une glaneuse travaille à proximité des faucheurs : elle ramasse les épis tombés. Ci-dessous, la glaneuse dans le "Cour de Langue Française" de Maquet, Flot et Roy, publié chez Hachette en 1923.

glaneuse_2

Michel et Maïté Combeaud m'envoient cette photographie prise à Razac d'Eymet vers 1955, on y voit un travailleur penché sur les gerbes. Que fait il ?

pailler_3

Voici le commentaire de Maïté :

dépiquage: on retrouve le mot "épi" . Le dépiquage consiste à faire sortir le grain de l'épi.

Sur cette photo, il y a deux groupes d'hommes

    1 - ceux d'en bas (parce que c'est la fin du gerbier) qui font passer les gerbes liées par une ficelle avec la lieuse , dans le champ) à ceux d'en haut. Apparemment un homme tient un râteau en bois (mon père en fabriquait), pour recueillir la paille avec les épis;  un autre (qui a l'air de se reposer, tous travaillaient très dur...) doit avoir une fourche pour lancer les restes du gerbier qui était au départ bien plus haut que la machine(appelée dépiqueuse). La paille sans grain allait ensuite dans une botteleuse...

    2 - Ceux d'en haut, sur la machine: celui qui est penché défait les liens des gerbes et l'autre à sa droite doit faire passer la paille dans la gueule de la machine

En bas à gauche, on aperçoit les sacs ; s'ils contiennent du blé, ils pèsent 80kg chacun.

La culture du tabac entraine souvent cette position penchée. En voici un exemple avec cette photo parue dans "Le Cultivateur français" du 11 novembre 1906 :

tabac

Voici une carte postale (mal cadrée) montrant le ramassage des prunes :

Num_riser0002

Passons aux vendanges. Au début du 20e siècle, toutes les vignes étaient basses. On se penchait pour couper les grappes hautes et on s'agenouillait éventuellement pour couper les basses. Sur la gravure suivante, la jeune vendangeuse se penche sur le cep de vigne pour couper la grappe avec une petite faucille - et non avec un sécateur. Quand le sécateur est-il apparu ?

  Fournier_2   

Même position de la vendangeuse dans la gravure suivante, "La vendange en Bourgogne (Côte de Beaune)", parue dans "L'Agriculture moderne" du 13 novembre 1904 :

Vendanges_bourgogne

La vendange, dans le livre de "Leçons de choses" de Boulet et Chabanas, publié chez Hachette en 1937 :

pench__1

Il y a le cas du défricheur maniant le benca. Cet outil est formé par deux bandes de fer parallèles, longues de 20 à 30 centimètres, fixées sur un manche court et faisant avec lui un angle de soixante degrés environs. La forme de l'outil obligeait l'utilisateur à garder penché le haut du corps. On utilisait cet outil pour retourner le sol. Monsieur Rebeyrolle, de Ligueux, me disait qu'avec un benca, dans les années 1900, son oncle défrichait en une journée 100 m de rang de vignes sur deux hauteurs de 30 centimètres.

"On tond les moutons", dans le livre de "Leçons de Choses" de MM. Boulet et Chabanas, publié chez Hachette en 1937 :

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Notons que pour le moment, cette position ne caractérise pas des métiers mais des activités.   

4 - Métiers divers

Les vieux livres scolaires  présentent d'autres exemples du corps penché. Voici le livre de "Lecture, méthode Neel" qu'Henriette Mazy utilisa en 1913 à l'école de Pessac-sur-Dordogne. Une gravure montre le boulanger en train de pétrir la pâte. Il est torse nu et, selon l'habitude des boulangers de l'époque, il porte un tablier blanc qui l'entoure complètement. Il est penché sur son pétrin :

neel    boulanger

Le boulanger penché sur sa table de travail dans "Lisons", de J. Baudrillard et M. Kuhn, chez Fernand Nathan, en 1933.

boulanger_1

Le Boulanger dans le manuel publié par A. Lyonnet chez Istra en 1923, "Le Français par les choses et par les images", et ci dessous, dans le "Cours de Langue française" de Maquet, Flot et Roy, en 1923.

boulanger_2

Voici les boulangers, une gravure du "Musée Universel" de 1872. A droite, le mitron est presque couché sur le pétrin :

boulanger_3

Je n'ai pas trouvé d'illustrations anciennes montrant les carreleurs et les paveurs au travail. Travaillaient-ils accroupis ou debout, le haut du corps penché ?

Ces gravures montrent le teillage du chanvre, une opération qui consiste à séparer les fibres de la plante des parties ligneuses.

chanvre    teillage

Le teillage du chanvre, dans le "Vocabulaire des Ecoles" de Fournier cité plus haut puis, dans les "Lectures courantes" publiées par la Librairie catholique Emmanuel Vitte en 1905.

La photographie suivante montre un homme qui porte un sac sur le bas du dos, et non sur l'épaule ou sur le dos. Comme disent les anciens du pays foyen, "jamais plus je n'avais vu" cette façon de travailler ! Le photo est extraite du livre de Charles Monod publié en 1972, "Chatillon en Dauphiné" :

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J'ignore si cette façon de porter des sacs lourds fut utilisée en pays foyen. Par contre, c'est la technique qu'utilisaient les porteurs turcs (fort comme un Turc).

5 - La vie quotidienne

La position de travail du corps penché se retrouve dans des gestes simples de la vie quotidienne.

Dans cette gravure, un homme fait sa toilette, penché sur une bassine d'eau. Sauf cas exceptionnel, on ne disposait ni d'eau courante ni de cabinet de toilette. Cette gravure se trouve dans le "Choix de Lectures, Cours moyen" d'Aimé Mironneau, imprimé en 1927 par Armand Colin. Mon exemplaire appartint à Pierre Pierrot, de Sainte-Foy la Grande.

toilette

Tous les cas cités plus haut concernent des travaux ou des occupations faites à la main. Lorsqu'on utilisait un outil ou un accessoire, savon et battoir pour la laveuse, faucille pour la vendangeuse, dépiquoir pour le ramasseur d'asperges, on le tenait à la main. L'attitude du travailleur, le haut du corps penché vers l'avant, était imposée par les contraintes de son travail.

La terre appelle le travailleur à elle, la terre commande. La travailler demande de se pencher sur elle. Le retour à la terre voulu par le maréchal Pétain, dans le cadre de sa "révolution nationale", à partir de 1940, donne une force nouvelle à cette image, inscrite dans les pratiques et les mentalités.

Voici un article de la Petite Gironde, daté du 4 juillet 1942. Le titre mentionne "cent jeunes hommes penchés sur la terre" et la photo montre des jeunes gens debout et parfaitement droits. Ils sont en plein travail. Mais l'expression, "penchés sur la terre", exprime mieux l'effort soutenu que n'importe quelle photo :

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Avec l'évolution des pratiques agricoles et l'adoption de nouveaux outils régulièrement perfectionnés, cette position de travail disparut sauf dans quelques cas (les vignes très basses, par exemple). Il s'agissait d'une véritable révolution qui concerna des outils et des pratiques de travail pluriséculaires.

J'ai l'impression que cette révolution se fit entre 1920 et 1960, avec des différences et des à-coups notables d'une région à l'autre. Dans chacun des cas présentés, on pourrait décrire les étapes de cette modernisation. Mais, comme disait Kipling, ceci est une autre histoire.   

Pour mes lecteurs que le sujet intéresse, je signale l'article de Paul Rives publié par "La Grande Revue" dans son numéro de juillet 1928, "Les métiers qui meurent, L'Usine à pain". L'auteur visite et décrit une "usine à pain" entièrement mécanisée. Des machines paitrissent la pâte, aucun boulanger ne se penche plus sur son pétrin. La rentabilité est la raison de cette modernisation : gain de temps et de main d'oeuvre.

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Commentaires
J
La seconde carte postale montre des laveuses sur le canal latéral à Agen. L'une d'elles est effectivement à genoux - je le signale - et on trouvera de vieilles cartes postales avec des laveuses agenouillées. Sur celles que je présente, elles sont toutes debout et penchées sauf l'exception signalée. Etait-ce une attitude momentanée ? Pour tordre le linge ? Je ne sais pas, je constate.
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E
A Saint-Sulpice près d'Eymet, à côté du lac de Lescourroux, dans un rocher, se trouve un antique lavoir où les pierres gardent la marque des genoux! De plus les lavandières étaient à l'abri du soleil, de la pluie et du vent!
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