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Le pays foyen
22 avril 2008

Les ponts de Sainte-Foy. I, les passeurs.

Pendant des siècles, la Dordogne est restée une voie de communication essentielle. Il y avait des routes importantes comme celle qui menait de la façade atlantique jusqu'à Agen et au delà, la route des convois de sel. Au 11e siècle, les moniales de La Monzie recevaient ainsi le sel que leur envoyaient leurs soeurs du couvent de Saintes.

A Sainte-Foy, le passage de la Dordogne était animé : la petite ville attirait les gens des alentours. Ils venaient aux marchés, aux foires, ou se rendaient chez un parent, un ami, un marchand, etc... 

Un passeur faisait traverser la rivière aux gens, aux animaux (cochons, volailles, etc...) et aux charettes.

En 1303, les consuls de Sainte-Foy demandèrent à leur suzerain, le roi d'Angleterre, l'autorisation de lancer un pont sur la Dordogne. Ils lui proposèrent de prendre sur d'autres revenus les 100 livres petits tournois qu'il percevait sur les revenus du port, car ils voulaient utiliser cette somme pour édifier le pont.

Dessous la supplique des consuls, un responsable a écrit son avis : "Soit mandé au Sénéchal que, s'il trouve qu'ils puissent faire le pont sans dommage du roi et sans préjudice d'autrui, qu'ils le fassent".

Le sénéchal ne fut pas de cet avis, le pont ne se fit pas et des générations de passeurs assurèrent la traversée de la Dordogne pendant des siècles, jusqu'en 1830.

En 1990, des fouilles eurent lieu au Pont de la Beauze, dans le coude de la rivière. On y trouva plusieurs barques médiévales. La plus grande mesurait 10,60 mètres de longueur, pour une largeur maxima de 2,06 mètres. Ce fut peut-être une barque de passeur. Il fut possible de la dater avec précision ; elle date des années 1300.

anne_1    La grande barque médiévale du Pont de la Beauze.

anne_3    Le relevé de la grande barque (photo et relevé par Anne Debeaumarché).

Des années 1300 à 1830, date de la construction du pont suspendu, 5 ou 6 textes seulement concernent les passeurs. Certes, il est probable qu'un chercheur s'intéressant à ce sujet en trouvera d'autres. On pourra alors préciser le statut et l'organisation des passeurs.

Le 16 avril 1603, il est fait obligation aux fermiers des péages d'entretenir les passages et les routes, dans un document des Archives Nationales (E21, f° 70 r°). Il y avait donc un laisser-aller ici et là. Le passage de la Dordogne à Sainte-Foy était-il bien assuré ? Je l'ignore.

Mais en 1623, il est certain que Vandrille, le passeur néglige son travail. Au lieu d'avoir une barque sur chaque rive de la Dordogne, il passe ses journées dans une taverne proche et ne s'occupe pas des gens qui veulent traverser la rivière.

Les consuls lui font passer quelques jours en prison pour le punir et le discipliner. Vandrille we le tint pour dit et les consuls rédigèrent un règlement applicables par les passeurs.

Un siècle s'écoula. Le 21 avril 1723, nouveau relâchement. Les consuls enjoignent aux fermiers du passage de la Dordogne de se conformer au règlement de 1623.

Et puis le pont suspendu fut lancé, en 1830. Il fallait payer un octroi pour le franchir (après tout, nous payons bien un péage pour emprunter une autoroute) et les passeurs continuèrent leur service. A peine le pont construit, s'abat un hiver terrible. La Dordogne gèle d'une rive à l'autre et on peut la traverser avec un attelage de boeufs tirant la charette. La débacle précipite d'énormes blocs de glace contre les moulins à bateaux et les coulent. Les barques des passeurs sont fracassées par les glaces.

Le 22 janvier 1830, le maire de Sainte-Foy écrit au sous-préfet de Libourne pour l'informer du désastre :

"M. le sous-préfet, J'ai l'honneur de vous prévenir que les quatre bateaux dépendant du passage de cette ville qui étaient amarrés au derrière de la pile du pont ont été entrénés hier soir à neuf par les glaces. Les pieux qui avaient été battues en amont de la pile pour la préserver du choc des glaçons ont été aussi enlevés de sorte que plusieurs assises de pierre de taille de revêtement sont endommagésce qui cependant n'influe nullement sur sa solidité. Le moulin a bateaux qui était construit devant cette ville, a été entièrement détruit malgré toutes les précautions qui avaient été prises pour le préserver (l'on a vu des glaàons qui avaient jusqu'à deux pieds d'épaisseur a été barré). Le cinquième bateau du passage que la crue d'eau du 4 décembre avait enlevé, ainsi que j'ai l'honneur de vous le faire connaître par ma lettre du lendemain, fut pris et déposé sur le gravier à Lamothe Montravel près Castillon, je ne sais point encore s'il a éprouvé le même sort que les autres".

Pierre Matignon m'avait raconté une histoire de passeur qui se passa dans les années 1890. La barque est pleine, des jeunes gens et une dame austère, toute de noir vêtue. Ils sont partis du Port et pendant la traversée, les jeunes plaisantent et ce n'était pas du goût de la dame. A l'approche du quai de Sainte-Foy, elle se lève, elle se place à l'avant pour partir la première. La barque n'a pas encore touché le quai, le passeur ne l'a pas encore arrimée, la dame lance la jambe et dès que son pied touche le quai, la barque recule et la voici partie pour un grand écart. Rire des jeunes : "Oh ! elle va finir par s'esclisser", lance un jeune en patois. Le passeur ramène la barque à quai et la dame s'enfuit sous les quolibets : esclisser une bûche, c'est la couper en deux suivant une fente qui existe déjà.

passeur_1    Le passeur, vers 1910. Sur la rive droite, l'appontement est fait de planches fixées sur deux roues. Le soir, le passeur le tirait en haut de la berge.      

Les passeurs subsistèrent jusqu'au début des années 1960. Le dernier fut M. Roy. Il se tenait sur le quai de la Brêche avec son bateau et il faisait traverser les promeneurs moyennant un prix modique. Sur la rive opposée, il y avait une sirène fixée à un pieux. On tournait la manivelle, la sirène beuglait et M. Roy montait dans sa barque pour aller chercher les promeneurs.

passeur_2    On voit très bien l'appontement sur cette carte postale des années 1910.

Les galopins faisaient beugler la sirène et quant M. Roy arrivait au milieu de la rivière, ils partaient en courant et le brave homme meuglait son mécontentement en ramenant sa barque au quai de la brêche.

passeur_30002    Entre 1905 et 1910. On aperçoit l'appontement et on note que dans ces trois cartes postales, le passeur dirige sa barque à la godille.

passeur_4    Devant le quai de la Brêche, on aperçoit "la flotte" et le groupe des laveuses. La barque du passeur est au milieu de la rivière. Au premier plan, on voit une barque avec un homme en chemise blanche. C'est "Manère", sobriquet du marchand de sable du Fleix. Un filin est fixé en haut du mat de sa barque et, sur le chemin de halage, un attelage le remonte au Fleix.

La plage vers 1936. Elle se trouvait debant Guyenne, avec une buvette. Autant de clients pour le passeur !

passeur_5

M. Laflaquière, le passeur de Sainte-Foy, de 1950-51 à 1956, et son épouse :

laflaqui_re_1

laflaqui_re_2

aaaa    La bac d'Eynesse photographié le 1er novembre 1894, document Bourgues. L'appontement est fait avec quelques planches. Le bac a la même forme que la grande barque des années 1300 dont il est question plus haut.    

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Commentaires
G
Qui pourrait me parler des passeurs du Fleix, mes ancêtres, Romain Bardessolle et sa femme Marie Condeau ?
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