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Le pays foyen
7 mai 2008

Autour de la cheminée

Le charbon est arrivé en pays foyen dans la seconde moitié du 19e siècle. Puis, l’électricité, le gaz et le mazout ont envahi nos vies quotidiennes de plus en plus vite. Avant l’arrivée de ces moyens de chauffage et de cuisson, dans chaque maison, la famille avait une cheminée dans laquelle un feu brûlait à l’année. On y faisait cuire les aliments ; l’hiver, le feu donnait un peu de chaleur et tous les jours, la famille se retrouvait autour de la cheminée.

aaaa    Dans le livre de lectures et récitations de J. Baudrillard et M. Kuhn, "Lisons", publié chez Fernand Nathan en 1933.

aaaa    "La famille", dans la "Méthode de langue française" de MM. Brunot et Bony; chez Armand Colin, 1909.

Cette pratique séculaire avait fini par associer la famille au foyer. Aujourd’hui, ces deux mots sont restés équivalents. Les jeunes couples se marient pour fonder un foyer et ceux qui aménagent dans un appartement ou une maison neuve continuent de “pendre la crémaillère”, même s’ils n’ont pas de cheminée. Car la réalité de notre époque échappe à ces vieux mots : beaucoup d’appartements n’ont pas de cheminée et, quand il y en a, on y fait parfois un feu pour agrémenter une soirée ou pour donner une touche de rêve. Les marchands de cheminée ne s’y trompent pas et présentent des “cheminées d’ambiance” dans leurs catalogues.

Jadis, quand on approchait d’un hameau ou d’une bourgade, le premier signe de vie que l’on voyait, c’était la fumée qui montait des maisons.

Le poète Léon Deubel (1879-1913) a noté ce symbole de vie :

"L’âme s’exalte au chant pastoral des villages

Et promptement élit pour sa fidèle image

La sereine fumée au toit d’une maison".

Robert Rullier m’a dit qu’il avait connu une vieille dame, à Saint-Seurin de Prats. On l’appelait la Mariette. Elle avait conservé cette pratique traditionnelle jusqu’à sa mort, en 2000 : elle préparait ses repas quotidiens dans la cheminée qui était aussi son seul moyen de chauffage. C’était un archaïsme, certes, et surtout, un style de vie particulier que nous avons oublié.

aaaa    Dans la "Nouvelle méthode de Lecture" de Gabet et Gillard, chez Hachette, vers 1890.

Le changement de mode de cuisson a entraîné une mutation considérable dans les pratiques alimentaires et les menus. Et puis, l’hiver, la cheminée apportait une chaleur qui laissait place au froid quand le feu s’éteignait pendant la nuit. Pour aller au lit, les gens mettaient des “vêtements de nuit” puis, ils se couvraient avec d’épaisses couettes garnies de plumes. Au petit matin, ils s’éveillaient dans une maison froide ou glaciale. Ils est certain qu’ils commençaient leur journée “d’arrache-pied” !

Num_riser0002    Un document remarquable : la cuisinière a été installée dans la cheminée. Dans le livre scolaire : "Du Vocabulaire à la composition française" d'Auger-Dedieu, Editions de l'Ecole, 1955.

Je ne vous parlerai ni de la mutation des pratiques alimentaires ni de l’arrivée du confort dans nos maisons. Abordons deux autres aspects : l’approvisionnement en bois et les rencontres autour de la cheminée.

Pour fournir les hameaux et les bourgades, il fallait de grandes quantités de bois. On imagine le travail que représentaient l’abattage des arbres, la récupération des bois morts, la confection des fagots, leur transport et leur stockage. Cette activité économique importante était pour beaucoup un complément du travail agricole. Je vais essayer d’en donner une brève description à propos de la fourniture du bois de chauffage à Sainte-Foy, en 1621.

Dès le mois de février, un foyen, Hellies Bosmorel commandait des centaines de fagots, des dizaines de brasses de bois, et des charretées d’écorces de chêne à des gens de Monfaucon et de Saint-Géry. Bosmorel était tanneur et marchand mercier, comme on dirait aujourd’hui.

aaaa   Mathellin, Pierre et Bernard, père et enfants, boucher à Ligueux, font leurs comptes avec Hellies Borsmorel au sujet des cuirs de vaches et des peaux de moutons qu'ils lui ont vendu (1620).

Il fabriquait et vendait des aiguillettes et des lacets - l’aiguillette était un cordon ferré qui servait à attacher les pièces d’un vêtement. Ses fournisseurs de bois étaient des paysans et des artisans, un tisserand, un tuilier. Depuis l’été précédent, ils avaient commencé à préparer les bois dont la vente leur apporterait de fortes sommes. Bosmorel payait à la commande et demandait à ses fournisseurs d’étaler leurs livraisons entre le 15 mai et le 30 juin suivant.

Après les inondations du printemps, la Dordogne retrouvait son lit et les bateliers reprenaient leurs activités. Ceux de Monfaucon et de Saint-Géry apportaient les bourrées, les fagots, les bûches et les écorces de chêne qu’ils entassaient près du port du Fleix. Cette année 1621, Etienne Barsouillier apporta 500 fagots. Etienne Bonnevigne, de Monfaucon, et Bernard Fauchier, de Saint-Géry, livrèrent 500 fagots avec les coutes ( les écorces), 2 brasses de “bon bois de chauffage” et une charretée “d’étam“, c’est-à-dire, d’écorce de chêne, et beaucoup d’autres firent de même.

aaaa    Le ramassage du bois, gravure parue dans le "Musée Universel de 1872.

Au Fleix, le port n’était pas la cale bâtie en gros appareil régulier que nous voyons aujourd‘hui, mais un atterrissement de graviers et de terre maintenus par une palissade faite avec des planches et des pieux. Au devant, il n’y avait guère de fonds : 1,50 ou 2 mètres. Quand les inondations de l’hiver emportaient l’atterrissement, on le refaisait. On trouvait ces mêmes atterrissements à Sainte-Foy, à Eynesse et ailleurs.

Les bateliers chargeaient les bois sur leurs gabarres à fond plat et les livraient à Sainte-Foy devant la tour de la Brèche ou en bas des actuelles allées de Coreilhe. La famille Costes, du Fleix, a retrouvé un grand morceau d’une de ces gabarres anciennes et l’a offert à la société d’histoire du Fleix.

A Sainte-Foy, Hélies Bosmorel surveillait la conformité des livraisons avec les commandes qu’il avait passées. Puis, il revendait les fagots et le bois de chauffage aux foyens et les écorces de chêne aux tanneurs qui exerçaient leurs activités le long du ruisseau du Rance.

aaaa    Le 28 juin 1604, Hellies Goullard, tanneur foyen confrère de Borsmorel, commande une "charrettée" d'étam (écorce de chêne), à Micheau garnoulaud, de Saint-Géraud.

Son commerce de bois était rentable : en 1621, pour financer ses achats de bois, Bosmorel avait emprunté une grosse somme à un marchand de Bergerac, pour un an, avec un intérêt de 12 %. Il n’était pas le seul à fournir les foyens en bois de chauffage, et pour cause : à l’époque, Sainte-Foy comptait 900 maisons environ et dans chacune, le feu brûlait jour après jour, dans la cheminée.

Dans les hameaux, la plupart des habitants faisaient leur propre provision de bois.

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Les fagots devant la vieille maison du Fleix, dessin du 25 janvier 1894.

Ajoutons que, quand on nettoyait la cheminée, on jetait les cendres dans le jardin.

Cette activité intense et régulière s’est maintenue jusqu’à la fin du 19e siècle. Il reste beaucoup de bois en pays foyen, mais ne nous faisons pas d’illusion : nous ne les verrons jamais comme ils le furent pendant des siècles : propres et entretenus.

Bon an, mal an, chacun avait le sentiment d’être redevable des bienfaits prodigués pas la nature. Les gens respectaient les productions de leurs terroirs et ce respect s’inscrivait dans les mentalités. Ils furent des écologistes avisés avant que ce mot existe, et plus encore : au début du 19e siècles, quand les catholiques et les protestants foyens affirmèrent leur foi avec force, ils proclamèrent que le spectacle de la nature, celle qu’ils avaient chaque jour sous les yeux, était une des preuves principales de l’existence de Dieu.

Pour profiter des repas et de la chaleur, la famille se retrouvait autour de la cheminée. Le feu accompagnait les discussions et les silences, les fâcheries et les moments de tendresse, les joies et la tristesse partagées. Les historiens ont abordé l’histoire de lieux de réunion aussi divers que les cafés, les cercles littéraires, les marchés, les édifices cultuels, les terrains de sport, etc... la liste serait longue. Je crois qu’ils ont oublié la cheminée, ce centre de réunion bien modeste qui, chaque jour, regroupait la famille et parfois ses invités. Grands parents, parents et enfants vivaient sous le même toit et le soir, tous se retrouvaient autour de la cheminée. Les archives n’évoquent jamais ces rencontres quotidiennes. Par contre, la littérature en donne de multiples descriptions.

L’âtre et le foyer évoquent une image des contes de Perrault ou de madame Leprince de Beaumont, celle de l’enfant perdu qui arrivait devant une maison surmontée d’une volute de fumée et voyait la lueur rassurante du feu. L’enfant se sentait sauvé parce qu‘il savait que quelqu’un se trouvait dans la maison pour entretenir le feu. Les romans d’autrefois regorgent d’informations sur l’importance de la cheminée dans la vie familiale.

Voici la première phrase d’un roman moralisateur publié en 1896, intitulé “Au village”, que je viens d’acheter au vide-grenier du Fleix : “Chacun se dirige, à pas pressés, vers le foyer où l’attend, avec les joies de la famille, le feu qui pétille dans l’âtre”.

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Il y a la cheminée de la mère Barberin, dans le roman qu’Hector Mallot publia en 1878 : “Sans famille”, et tant d’autres. En 1912, Henri Bordeaux écrivait, dans la dédicace de son roman, “la neige sur les pas” : “Ainsi ai-je appris qu’une maison n’est pas une maison sans un panache de fumée. Autrefois, ne dénombrait-on pas les villages par le chiffre des feux ? Et chaque feu, c’était une famille.

L’art s’éloignerait bientôt de la réalité, tomberait dans le faux et le romanesque, s’il ne s’intéressait pas à la flamme du foyer. Dans les grandes villes, les maisons sont trop hautes et les fumées se confondent dans un brouillard qui obscurcit l’air et les idées. A la campagne, le soir, on se rend mieux compte”...

Au début du 19e siècle, le poète foyen, Charles Garrau, a décrit une veillée devant la cheminée. C’est un texte en patois, trop long pour que je vous le résume.

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Je préfère écouter Robert Rullier quand il me raconte les veillées chez ses grands parents, à Saint-Méard de Gurçon, autour de la cheminée. Régulièrement, les six familles du hameau se retrouvaient, le soir, après une journée de travail en commun, pour les moissons, pour les cochonnailles, ou bien, pour manger des noix ou des châtaignes. On discutait, on se racontait des histoires et la Léontine se mettait à chanter. Elle chantait en français une chanson qui parlait d‘un merle, avec des phrases difficiles à prononcer, et cette chanson, elle la chantait très vite. Robert ajoute : “ma grand’mère faisait des tartes délicieuses et la Léontine apportait un gâteau aux pommes qu’elle avait préparé dans une tourtière dont le couvercle a des bords relevés. Pour cuire son gâteau, elle mettait des braises dans le couvercle. Il y avait le Pierre, il y avait aussi le Brunet, c‘était son surnom, un type bourru, qui parlait bref et sec mais qui avait un cœur d‘or, il y avait aussi la Castanette. Tout le monde parlait en patois, la lueur du feu faisait danser les silhouettes sur les murs, la soirée se passait. Ce sont des moments que l‘on n‘oublie pas”...

A la fin du 19e siècle, cette vie familiale a commencé à s’éloigner de l’âtre pour se dérouler autour de la lampe à pétrole ; aujourd’hui, elle se passe souvent devant la télévision. Qui se retrouve encore autour de la cheminée ?

aaaa    Dans l'opuscule de M. Lallemand, "La gravure sur lino", Ecole Moderne Française.

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Commentaires
M
Super intéressant !
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