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Le pays foyen
9 novembre 2008

La fin des moulins en pays foyen

C’est une histoire qu’Alain Gerbaud vient de me raconter ; il la tenait de Madame Comme qui l’a tenait d’anciens qui furent peut-être les témoins de cet événement. Cette histoire s’est passée dans les années 1860 ou 1870.

Connaissez-vous les Bérangers, à Saint-André et Appelles ? Un promontoire domine le vallon ; vous y verrez un hameau, vous trouverez l’ancienne école et puis, voici les ruines du moulin à vent. Aux Bérangers, les gens travaillaient aussi dur qu’ailleurs... Quand vous aurez suivi la route sinueuse qui mène jusqu’au bout du promontoire, vous serez charmé par la beauté et la sérénité des paysages. Vous aurez l’impression d’avoir échappé au temps, c’est-à-dire à vos préoccupations. Jadis, quand on parlait de l’école des Bérangers ou du moulin des Bérangers, il y avait dans les têtes l’image d’un coin de ciel au dessus des arbres ou d’une trouée dans la verdure donnant sur le vallon qui évoquait un tout petit paradis sur terre. Pourtant, c’est vrai, les gens y travaillaient aussi dur qu’ailleurs.

Un jour, le meunier du moulin des Bérangers fut pris de folie. Le bonhomme grimpa dans son moulin. Il cassa le mécanisme. Il creva le plancher. Il dessoucha les poutres énormes qui supportaient les meules en silex. Il précipita les meules dans le vide. Elles éclatèrent dans la pièce du rez-de-chaussée qui lui servait de cuisine et où il blutait la farine. Il anéantit son outil de travail. Ce fut la mort du moulin des Bérangers.

Le désespoir du meunier, sa folie et sa fierté, ces éléments se retrouvent dans un conte d’Alphonse Daudet, “Le moulin de maître Cornille”. Pauvre maître Cornille qui

finit par ne plus avoir de blé à moudre ! “

L'installation des minoteries l'avait rendu comme fou », écrit Daudet ; et il ajoute : «Tout a une fin en ce monde et il faut croire que le temps des moulins à vent était passé« .

Le conte d’Alphonse Daudet se termine bien, puisque c‘est un conte. La mort des moulins en pays foyen est une autre histoire ! Cette histoire, je vais vous la raconter.

moulin

Un moulin, en 1893. Les Bournets ou Baby ?

Il y avait trois sortes de moulins : les plus anciens avaient été installés dans des bateaux fixés par de grosses chaînes sur la Dordogne ; le courant de la rivière faisait tourner leur roue à aubes. Ils étaient déjà là à la fin du 11e siècle. On en compta jusqu’à 5 entre le Pont de la Beauze et Sainte-Foy. Des moulinasses avaient été édifiés le long des petits ruisseaux. Enfin, sur des sommets, s’élevaient les moulins à vent.

Depuis des siècles, les moulins à nef et leurs chaînes gênaient le passage des gabares chargées de marchandises. Il arrivait qu’un bateau fasse naufrage. Tantôt c’était une gabarre remplie de châtaignes, tantôt, un bateau chargé de barriques de vin. Depuis des siècles, la « bourse commune des marchands fréquentant la Dordogne » demandait régulièrement la suppression des moulins à bateaux. L’administration recevait les plaintes et nommait un enquêteur. L’enquêteur faisait son enquête, rendait son rapport, rien ne se passait, et les moulins continuaient à gêner la navigation. Il en fut ainsi de 1575 à 1829 !

En décembre 1829, la rivière gela et la glace fut suffisamment épaisse pour que l’on puisse passer d’une rive à l’autre avec une charrette attelée de deux bœufs. En janvier 1830, la débâcle fut terrible : d‘énormes blocs de glace entraînèrent, disloquèrent et coulèrent tous les moulins à bateaux. L’administration en profita pour interdire leur reconstruction et dédommagea plus ou moins leurs propriétaires.

moulin___nef

Le moulin à bateaux du Pont de la Beauze

La disparition des moulins à nef provoqua une crise de l’emploi que les anciens meuniers surmontèrent rapidement. Certains reportèrent leurs activités dans les vieilles moulinasses qu’ils possédaient sur les ruisseaux. Ce fut le cas de la famille Barde qui exploitait les moulins des Régniers et de Beausaut, à Eynesse, sur la Gravouse. D’autres meuniers devinrent tout de suite agriculteurs. Ce fut le cas de Jean Monteil, Pierre Delbos et Jean Goubier qui appartenaient à de très anciennes familles de meuniers.

Cette crise de l’emploi fut bientôt aggravée par l’apparition des machines à vapeur. Cette énergie nouvelle vint concurrencer les anciennes sources d’énergie, l’eau et le vent. Un jour, en 1859, un sieur Martin reçut l’autorisation d’édifier une minoterie, à Pineuilh, mue par des machines à vapeur. Ce fut la première de la région et, comme on craignait que la machine explose, on obligea monsieur Martin à l’entourer d’un mur épais et haut. D’autres minoteries modernes apparurent à Sainte-Foy, Bergerac et Castillon. Elles provoquèrent la disparition de la meunerie traditionnelle, dans les années 1870. Les meuniers se reconvertirent. Dans la chaîne des professions qui mène de la production du blé à sa transformation, les meuniers se retrouvèrent cultivateurs ou boulangers. Cas exceptionnel, un meunier devient marchand de blé.

Dans les années 1890, il ne restait guère de meuniers exploitants. Quelques moulinasses sur ruisseau avaient subsisté : elles continuaient de concasser le maïs pour les volailles. Parfois, le moulin servait de logement. L’exiguïté de ses pièces présentait d’autant plus d’inconvénients qu’il n’était plus un outil de travail. Les anciens meuniers portèrent leurs efforts sur leurs nouvelles professions. L’agriculteur s’installa dans une ferme et le boulanger vécut dans la maison qui abritait son fournil.

On abandonna les moulins et on cessa de les entretenir. Le meunier des Bérangers avait déjà tourné la page à coups de masse.

De la soixantaine de moulins qui tournèrent en pays foyen, il reste trois moulins ayant conservé leur mécanisme : deux moulinasses sur ruisseau, aux Régniers, à Eynesse et au Moustelat, à Pessac sur Dordogne, et un moulin à vent, au Petit Paris, à Saint-Méard de Gurçon.

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Commentaires
A
Un moulin, en 1893. Les Bournets ou Baby ?<br /> <br /> <br /> <br /> Moulin des Vergnes<br /> <br /> http://natureln.librox.net/spip.php?article234
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M
Dans les années 50, mon père, après le dépiquage, apportait des sacs de blé à la minoterie d'un des moulins de Serres sur le Dropt. Le meunier lui donnait des bons qui étaient échangés, chez le boulanger, avec du pain (les miches de 2 kg surtout). On payait le pain avec ces bons, tout au long de l'année!!
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