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Le pays foyen
14 février 2010

Carnaval en pays foyen

Carnaval sera fêté à Eynesse le 28 mars prochain.

Samedi dernier, un monsieur me demande des renseignements sur l'histoire du carnaval en pays foyen et développe une présentation très personnelle de l'histoire du carnaval en général.

Il y voit une fête payenne récupérée par l'église catholique, le début du carême, un moyen qu'utilise l'église catholique pour faire peser une pression sur le petit peuple pendant des siècles, la fin d'une année marquée par les problèmes et le début d'une autre, marquée par la lumière du printemps... Il prend des exemples dans le monde entier et en particulier au Portugal.

Il illustre la conception de l'histoire qu'avait Alexandre Dumas : "Qu'est-ce que l'histoire ? Un clou auquel j'attache mes romans".

Que bâtir sur cette base ? Il cherche un personnage historique local pour en faire le roi du carnaval. Il faut qu'il ait une connotation négative pour qu'on le brûle avec plaisir à la fin de la fête. Il a pensé à Cyrano de Bergerac et au chevalier de Pardaillan.

Il ne peut pas les adopter parce que ce sont deux héros appréciés. Quand à Cyrano de Bergerac, il n'a rien de local et n'a jamais connu "la verte douceur des soirs sur la Dordogne" : il est né à Paris en 1619 et, en 1638, il a pris le nom d'une terre qu'il possédait dans la vallée de la Chevreuse : "Bergerac".

Faisons table rase des fantaisies religieuses accrochées à carnaval par mon interlocuteur. Quel est le sens de cette fête, quelle est son histoire en pays foyen ?

Dans un dossier qu'elle présente sur le net, Danielle Montariol donne des caractères essentiels de carnaval : "Pour quelques heures, la hiérarchie est renversée. Toutes les contraintes qui s'exercent dans l'année sont rejetées, celà sert en fait de "soupape de sécurité". Tout rentre dans l'ordre dans les jours suivants".

Elle note aussi l'inversion des rôles, chacun, et en particulier la jeunesse, contrôlant ce qui lui échappe d'habitude, et le symbole du feu, avec la fin de l'hiver et le retour de la lumière régénératrice.

Avant de trouver le personnage qui incarne tant de problèmes affrontés l'année passée, autant connaître le programme de la fête, son "timing", ses acteurs, etc. Commençons par les rites, ils s'ouvriront peut-être sur des mythes.

Mon interlocuteur ne s'est pas renseigné sur cet aspect de la fête. Il faut donc prendre son baton de pélerin et s'avancer dans le passé du pays foyen à la recherche de carnavals.

Ce sera rapide : il n'y a jamais eu de carnaval en pays foyen.

On trouve des bals costumés, des fêtes déguisées, des cavalcades mais pas de carnaval. Même si on a donné ce nom à telle de ces fêtes.

Je trouve la mention du premier bal costumé organisé en pays foyen à la date du 1er mars 1892, à l'occasion du mardi-gras, avec un "bal d'enfants travestis" à 2 heures de l'après-midi et, pour les adultes, un "grand bal de nuit paré et travesti" à 8 heures du soir.

Le renversement de la hiérarchie, l'inversion des rôles sociaux et la symbolique du feu n'apparaissent pas ou très peu dans ces bals organisés par le directeur conservateur de la salle Plaisance.

carnaval_1892

Il semble que carnaval vienne se greffer sur la fête de mardi-gras. Comme la mode vestimentaire, le plaisir de lire, de jouer d'un instrument de musique, de faire du macramé ou du cuir repoussé, comme les courses cyclistes et les clubs sportifs, comme les lachers de montgolfières en papier et la photographie, comme les influences architecturales venues de Suisse, etc., carnaval serait un apport extérieur, marquant l'ouverture au monde du pays foyen.

De foyen, il reste le mardi-gras mais, hélas, je n'ai presque pas de documentation sur ce sujet. J'ai vu un document sur la promenade et la vente sur pieds d'un boeuf gras dans les rues de la ville, à la fin du 19e siècle. Et on a continué de donner un bal pour le mardi gras, sans trimballer le boeuf, ainsi, le 21 février 1939 :

carnaval_1939

Ce 21 février 1939 annonce les ingrédients d'un carnaval... qui n'en est pas un. La cavalcade est une exhibition de danseuses et danseurs de music-hall, le "bal de la lumière" est donné par deux orchestres de jazz dans un décor soigné et résoluement moderne : "la lumière sera prodiguée et la salle parée au même titre que la scène", et le Casino Rey présente deux films, "à l'occasion des fêtes de carnaval", films qui n'ont rien à voir avec le carnaval.

Alors, qu'en est-il des fêtes déguisées, et de l'esprit de carnaval avec le renversement des hiérarchies ?

Les fêtes déguisées et les cavalcades sont fréquentes. Elles sont organisées par les paroisses protestantes et catholiques, par les comités de quartier, par des sociétés sportives et parfois, dans les écoles. Dans les années 1950, trois jeunes gens organisent une petite cavalcade dont ils sont les principaux acteurs, dans les rues de la ville. Ce sont Roger Larrazet, Charlot Foussal et le fils Niorthe. Ils le font deux fois par an, pour la chandeleur et à une autre date qui n'a pu être précisée.

Des foyens déguisés à la fin du 19e siècle. Pour une fête ? Des acteurs d'un drame historique ?

d_guis_s

Le déguisement donne du relief à la fête mais il n'est pas question qu'il favorise le moindre renversement de hiérarchie. Si le garçon boucher se déguise en roi, si l'apprentie chapelière devient reine, ils n'en tireront qu'une fierté personnelle.

Voici une photo de la fête donnée par le quartier du Puits des Amours, vers 1932. Quelques personnes se sont déguisées :

Bernard_40010

On ne renversait pas les hiérarchies, même le temps d'une journée de carnaval. Avant 1914, les foyens travaillaient six jours sur sept. Madame Merveillaud, la petite Janny, m'avait raconté que son père avait alors congédié un de ses employés qui avait pris une demie journée sans prévenir. Le cadre social était rigide et ce n'est pas carnaval qui lui apportait une pondération annuelle.

Les années 1930 voient l'apogée de ces fêtes de quartier souvent déguisées. Lors de la "Grande braderie du 21 mai 1933", une cavalcade parcourt la ville. Elle comprend la voiture du Comité et huit chars qui formaient un spectacle et non un carnaval :

cavalcade_1

cavalcade_2

Ce même cadre social strict entoura le renouveau de carnaval en pays foyen à la fin des années 1960. Sud-Ouest du 10 avril 1969 annonce les "grandes fêtes carnavalesques" qui vont être données à Sainte-Foy. Les associations préparaient des chars qui défilaient en ville. C'est la tradition des cavalcades que les quartiers de la Citadelle et du Puits des Amours organisaient avant la guerre. Une foule immense assistait au défilé puis se retrouvait dans les bistrots et devant les stands qui proposaient des boissons et de la nourriture, ou des jeux.

Le 6 février 1970, Sud-Ouest rend compte du carnaval de Saussignac.

carnaval_saussignac

C'est la grande époque des majorettes dont les uniformes chamarés sont les seuls "déguisements" du carnaval. Quoique..., regardez la photos des majorettes de Saussignac : ce sont de jeunes gens. Ils ont retrouvé le sens du déguisement et, dans l'inversion des rôles, la primauté et le contrôle des jeunes gens. 

Il y eut alors un engouement pour le carnaval et les cavalcades, avec plus ou moins de déguisements et une "bonne" tenue, qui dura jusqu'au début des années 1980.

Depuis 2009, le pays foyen renoue avec une activité carnavalesque festive, mais vide du sens traditionnel.

carnaval_eynesse_1

Le premier "Carnaval en Pays Foyen associant toutes les communes du canton" eut lieu à Saint-Philippe du Seignal le 8 mars 2009. Voici son programme :

Défilé de chars à travers les rues du village. Atelier de maquillage, bataille de confettis.

Jugement et exécution de Monsieur Carnaval.

Spectacle de danses et animation percussions.

Un grand défoulement populaire!!

carnaval_eynesse_2

Il y a loin, du "grand défoulement populaire" au renversement de la hiérarchie, des valeurs, et à l'inversion des rôles sociaux.

Il est vrai qu'à cet égard, c'est carnaval tous les jours, sans déguisement ni vergogne.

Revenons au canevas de Danielle Montoriol sur carnaval et, en particulier, à son affirmation : pendant carnaval, toutes les contraintes qui s'exercent dans l'année sont rejetées, celà sert en fait de "soupape de sécurité".

Bref constat, exprimé très et trop rapidement. A croire que l'on attendait carnaval pour ouvrir les soupapes de sécurité en rejetant les contraintes qui s'exercent pendant l'année. Que dire des terroirs, comme le pays foyen, dans lesquels il n'y avait pas de carnaval ?

Les contraintes, il fallait les assumer, bon gré, mal gré. On en trouve la trace dans de nombreux domaines. En voici deux exemples. Au début du 17e siècle, Sainte-Foy était devenue une place forte protestante farouchement opposée l'exercice local de la religion catholique. Cependant, les tenanciers de Saint-Avit du Tizac payaient régulièrement leurs redevances aux chanoines de Saint-Emilion. Pendant tout l'ancien régime, on ne devait pas laisser une maison ni une terre à l'abandon. Autour de Sainte-Foy, les hameaux et les terres qui en dépendaient constituaient autant de micro-terroirs actifs et travaillés. On aura une faible idée des contraintes du travail de la terre avec le rendement d'un grain de blé, lors d'une bonne récolte : 4 ou 5 pour 1.

On multiplierai les exemples pour arriver à cette conclusion : carnaval n'est pas une soupape de sécurité.

En pays foyen, il y avait d'autres occasions de donner des coups de pieds discrets à l'ordre établi. Ceux qui nous intéressent sont le fait de la jeunesse : les nuits de conseils de révision, le détournement de paillers et de fagottières, le branchage d'une charrue dans un arbre, les charivaris. Je vous en parlerai un jour à propos des charrues dans l'arbre.

De carnaval aux charivaris, des cavalcades aux fêtes de quartier, la contestation et le renversement momentané des hiérarchies sociales ne constituent pas un critère de recherche productif. Le critère de distribution en classes d'âge est intéressant pour caractériser un groupe et les modes de sociabilité de ce groupe.

A cet égard, une dernière observation :

Christian Pasutto se rappelle que vers 1965, Sainte-Foy avait organisé des cavalcades restées fameuses. La commune de Saint-Philippe avait réalisé un char sur le thème de Blanche-Neige. Pour celle de Saint-Avit, Daniel Jourdain avait fait un terrain de tennis en polystyrène. Das la nuit, les poules avaient bouffé son terrain de tennis !

Les chars étaient faits par les jeunes "du village". A Saint-Philippe, Maurice Veck, le menuisier, s'occupait de la prtie bois, l'électricien de l'éclairage, etc. Les jeunes y travaillaient tout l'hiver.

Aujourd'hui, pour préparer le carnaval d' Eynesse, les clubs Troisième Age du pays foyen font des fleurs en papier.

Le renversement ne concerne plus les hiérarchies sociales mais les classes d'âge.

Les deux photos en couleurs proviennent du blog du Comité des Fêtes d'Eynesse.

   

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Commentaires
J
J'ai supprimé un commentaire intitulé "droit de réponse", la personne qui est venue me demander l'histoire du carnaval en pays foyen ne s'étant pas présentée.<br /> <br /> Son commentaire porte sur le carnaval en général et la vision que cette personne s'en fait, en particulier. Rien sur le carnaval en pays foyen. <br /> <br /> Les témoignages sur les fêtes et les défilés déguisés, en pays foyen, sont les bienvenus.<br /> <br /> Jean Vircoulon
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