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Le pays foyen
15 mai 2010

Les lendemains de la guerre de Cent Ans à Ligueux

Les lendemains de la Guerre de Cent Ans n’ont pas encore fait l’objet d’études portant sur Sainte-Foy la Grande et ses environs. Pourtant, en quelques décennies, s’opère une reconstruction importante qui marque l’économie et la société locale pendant des siècles.

Cet article est limité à la petite paroisse de Ligueux. Il concerne la période de reconstruction, dans les années 1460 - 1480, puis décrit les premières modifications apportées aux structures alors mises en place, ces modifications intervenant au début du XVIIe siècle. 

1 - Une région désolée par la guerre, les famines et les épidémies

En juillet 1453, la Guerre de Cent Ans se termine par la défaite des Anglais devant les Français, à la bataille de Castillon. Cet événement intervient en pleine crise économique épouvantable qui va se poursuivre encore pendant quelques années. Depuis le début de ce siècle, des vagues de combats ont ravagé l'Entre-Deux-Mers et les terroirs proches, en particulier, la juridiction de Sainte-Foy. Aux malheurs de la guerre se sont ajoutées plusieurs épidémies successives que les textes anciens qualifient tous de "peste". 

2 - Le renouveau économique

A partir des années 1460, l'administration française prend de nombreuses décisions pour repeupler les zones dévastées et abandonnées depuis plusieurs décennies par leurs habitants. Il s'agit d'avoir les moyens en hommes et en matériel pour les remettre en état. En particulier, l'administration fait procéder à l'inventaire des terres abandonnées dont une partie est incluse dans le domaine royal, et elle incite les seigneurs à ressaisir leur domaine. L'objectif est de louer les terres disponibles à des gens venus de terroirs extérieurs à la zone des combats. La location porte toujours sur une tènement, c'est-à-dire un hameau souvent déserté et/ou en ruine et les terres qui en dépendent, constituant une unité de plusieurs dizaines d'hectares. Le tarif de location est faible, pour inciter ces migrants à s'installer dans des hameaux ruinés qu'ils doivent relever, et à remettre en culture des champs qui sont revenus en friche depuis parfois plusieurs décennies.

A Ligueux, ce mouvement apparaît nettement à partir des années 1460 et semble se poursuivre assez tard, jusque dans les années 1510. Ce renouveau ne peut manquer de toucher les fiefs de Parenchères et de Couronneau. On ne sait rien sur la situation de Couronneau. Parenchères, si l'on se réfère à un document tardif, est tombé en abandon. Lorsque l'enquête se déroule pour retrouver les propriétaires ou les ayant droits de ces fiefs et de ces terres vacantes, personne ne se présente. Le fief de Parenchères est donc en partie inclus dans le domaine royal. En 1478, une autre partie de ce fief est attribuée à Pierre Vigier, Guido Cassin et Guillaume Disnier, tous trois laboureurs. Il s'agit d'une vingtaine d'hectares de terres et de prés compris entre le Seignal et la ligne des falaises, en dessous du château actuel de Parenchères, avec une quarantaine d'hectares de bois et une dizaine d'hectares de terres. Le bois et cette dernière pièce de terre se situent entre Parenchères et Fonsalade. Les trois consorts disposent enfin d'un moulin, situé dans ladite métairie. Il s'agit de la moulinasse de Parenchères, édifiée sur le ruisseau du Seignal.

D'autres familles s'installent dans de petits terroirs à cheval sur les paroisses de Pineuilh et de Ligueux. Le 19 avril 1460, les frères Jean et Guillaume Bournet reçoivent les 385 journaux de Matenquel auxquels ils donnent leur nom : les Bournets. Le 26 mars 1470, 152 journaux de terre situés au Petit Fonsalade (anciennement : village de Faugère), sont arrentés, c'est-à-dire loués à Pierre Bernard, Martial Jean, André et autres Vallège frères.

Ces gens viennent de régions extérieures à la zone des combats : la Saintonge, l'Angoumois, le Poitou, le Quercy, l'Armagnac.

Le texte de 1478 donne le montant de la location annuelle (on parle alors de rente) des soixante-dix hectares situés à Parenchères : 7 livres 8 deniers pour les terres et les prés, 9 demis-tournois et trois paires de poules pour les maisons et dix sols et quatre deniers pour le moulin.

Par la suite, le roi met la seigneurie de Parenchères à la disposition de l'un de ses vassaux. On ne connaît pas le nom des premiers "repreneurs". Par contre, on sait que Parenchères a été appelé "le Vacant du Roy" presque jusqu'à la fin de l'ancien régime.

On dispose de quelques informations concernant les biens dépendant du prieuré de Ligueux. En 1461, Pierre Eymerie, procureur de l'abbesse de Ligueux (en Périgord), arrente divers biens situés au Petit Ligueux en faveur de Jean Volon. Puis, le 16 août 1488, c'est un arrentement, rédigé en latin, d'une maison à Ligueux. Le 22 juillet 1489, voici un autre arrentement en faveur d'Estienne Charrière : il concerne une place de maison et jardin situés dans le village de Saint-Martial.

Ces actes marquent l'installation des migrants qui prennent une maison disponible, à retaper ou non, ou, comme Etienne Charrière, un emplacement de maison et un jardin. Charrière disposera d'un an ou deux pour édifier sa demeure et comme les autres, il participera à la remise en valeur du terroir. Le 5 juillet 1503, intervient l'arrentement d'une terre pour maison et jardin à Ligueux. Comme Charrière, le nouvel arrivant devra construire sa demeure.

En 1512, l'abbesse consent plusieurs arrentements : quelques maisons ruinées au Petit Ligueux, les trois tiers du caneval près la fontaine du Petit Ligueux, et à une date qui n'est pas précisée, le moulin et pré de Madame, situé au nord de la paroisse. Le moulin est installé sur le Seignal et, par la suite, sera désigné sous le nom du moulin des Femmes. C'est dire que toutes les maisons qui avaient souffert pendant les dernières années de la Guerre de Cent Ans, et aussi depuis, n'avaient pas été relevées.

Le seigneur de Pineuilh possède plusieurs tènements situés dans la paroisse de Ligueux. Le 2 juillet 1464, il arrente le tènement du Roc à Jean Augereau, pour 25 sols et deux gélines, c'est-à-dire deux poules. Le 9 mars 1467, il arrente le tènement des Morins ou Peyroloumau à Guillem Maury, pour 25 sols et deux gélines de rente annuelle. Le nom de Peyroloumau a subsisté jusqu'à nos jours. Peyroloumau, c'est Pierre le mauvais. Le 20 août 1469, il arrente une pièce de pré et de terre, ainsi que le moulin qu'il possède, sur le Seignal, à Hugues Faurel, pour 40 sols et deux poignées de froment. 

3 - Les nouveaux venus

De façon générale, les nouveaux venus arrivent en famille : deux ou trois frères et leurs épouses. Ce sont des jeunes que le travail ne rebute pas. Souvent, ils donnent leur nom aux hameaux dans lesquels ils s'installent : Les Crux, Les Eymeries et les Pauverts en sont l'exemple. Un autre exemple est celui du village des Augereaux. Dans les lendemains de la Guerre de Cent Ans, la famille Augereau s'installe dans un hameau qu'elle remet en valeur et auquel elle donne son nom. Près d'un siècle après, en 1554, une demi-douzaine de chefs de famille portant le patronyme d'Augereau habitent toujours ce village.

Les nouveaux venus ont du mal à s'intégrer. Les différences de langage et de coutumes les désignent comme des étrangers. L'exemple des Gavaches montre qu'ils ont pu maintenir certains traits de leur identité pendant des siècles, génération après génération. Chaque famille est foncièrement attachée à la terre qui lui a été attribuée et dont elle est responsable fiscalement et surtout économiquement : elle doit d'abord la remettre en valeur et ensuite en tirer ses ressources. Leurs contrats de location (j'emploie un vocabulaire moderne) stipule qu'ils ne peuvent pas sous-louer leurs biens ni en disposer au profit de tiers, ni surtout, les laisser thomber en rhuyne. Il est frappant de constater que jusqu'au début de ce siècle, quelques descendants lointains des immigrants des années 1460 habitaient encore un lieu qui porte leur nom.

Malgré leurs difficultés d'intégration, les nouveaux venus occupent une partie importante de la campagne et aussi des bourgs et de la bastide de Sainte-Foy. Avec leur arrivée et le montant relativement abordable des "loyers" annuels qui leur ont été consentis, c'est une nouvelle donne des pratiques féodales qui s'opère. Fondée sur la nécessité et l'urgence d'une remise en ordre économique, elle fait la part belle à la bourgeoisie urbaine, à l'artisanat qui se répand aussi bien en ville que dans les hameaux, et dans une moindre mesure à la paysannerie. Le bourgeois et l'artisan, plus que le travailleur de la terre peuvent devenir des acteurs importants de la vie sociale et économique. La noblesse sort affaiblie de ce redémarrage économique qui profite surtout à l'administration royale et à la bourgeoisie locale. 

4 - Perturbations et mutations apportées par l'affaire Goutte

Au début du 17ème siècle, le roi fait procéder à l'inspection de son domaine. Etienne Goutte, membre du Conseil privé du Roi est chargé de la Réformation de son domaine en Guyenne et donc, dans la juridiction de Sainte-Foy. Un des buts de l'entreprise est d'augmenter le loyer des terres dont le montant n'a pas changé depuis les années 1470. Une inflation partie d'Espagne à la fin du 16ème siècle se répand en Europe occidentale : là où on payait un poulet 1 denier, il en faut 6 maintenant, écrit un foyen vers 1608. Le loyer défini à perpétuité, dans les lendemains de la guerre de Cent Ans, n'a plus guère de valeur.

Cent cinquante ans après l'arrivée des nouveaux venus, la mission d'Etienne Goutte devrait nous donner une idée du travail que des générations ont accumulé, et des résultats obtenus. Le relatif bien-être des gens du pays foyen, c'est sous sa forme la plus perverse qu'on le constate : maître Etienne Goutte est un escroc, un homme autoritaire, vénal et corrompu. Il détourne de l'argent, en réclame à des gens qui ne devraient pas en donner, vend à son profit des titres nobiliaires usurpés et pressure le petit peuple.

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Juillet 1621, les Présidents Trésoriers des Finances de Guyenne ordonnent à Goutte de rendre ses comptes de recette et dépenses. Goutte s'y est déjà refusé. 

Après plus de dix ans de corruption, en 1632, une information judiciaire est ouverte contre l'escroc. Elle donne entre autres le détail des méfaits commis par ce personnage à Ligueux. Les témoignages recueillis éclairent une longue tradition de présence et d'usage du sol, montrent la volonté des nobles d'agrandir leurs possessions, et illustrent la place de premier plan que le vin est en train de prendre dans l'économie locale.

Goutte ponctionne les petites gens, vend des faveurs aux nobles et fait complanter de la vigne dont le rapport, semble-t-il, est alors meilleur que celui d'une prairie ou d'un bois. Dans tous les cas, il obtient un profit personnel en escroquant aussi bien le roi que ses tenanciers. Quand la justice s'intéresse à lui, en 1632, Goutte est en train de mener ses affaires. Le 6 janvier 1632, il vend à monsieur Joseph de Lachaise un fief noble "appelé le Vacant du Roi, situé dans la paroisse de Ligueux", à proximité de Parenchères. Il s'agit d'une terre en pleine exploitation, puisque depuis bientôt un an, Goutte l'a donnée à faire valoir à Pierre Mathieu qui habite au village des Négrauds à Razac. Cette ultime action de Goutte sur Ligueux est l'une de ses escroqueries : la mise en valeur d'un bien noble, en le complantant en vigne, avant de le vendre à son profit.

En 1632, une information "secrète" est donc ouverte contre lui. Helies Gentillot, marchand de Sainte-Foy, âgé de 74 ans déclare qu'il possède un tènement contenant 32 journaux (13 hectares environ) dans un village appelé le Casin, en la paroisse de Ligueux. Pour ce tènement, dit-il, les villageois payaient au roi par chacun an deux quarts de froment, 20 sols de rente et une géline. Goutte a fait complanter 20 journaux en vigne, le reste est en bois et pré, et Goutte a mis la redevance annuelle dans sa poche. Maître Zacharie Gentillot, notaire royal, âgé de 38 ans ou environ, ajoute qu'il a entendu dire que depuis, Goutte a vendu ce village comme bien noble. Il s'agit, nous venons de le voir, d'une vente qui a été faite le 6 janvier 1632. Simon Gentillot, père du notaire, confirme que les habitants des Casins ont été spoliés de leurs biens et conclut en disant que la voix et fame publique est que la commission dudit Goutte a causé plus de mal sous prétexte de la dite réformation que la guerre, ni la peste, ni la famine qui a eu cours dans le passé par ces dernières années.

Maître Simon Geymond, notaire royal et procureur en la cour ordinaire de Sainte-Foy, âgé de 39 ans, tient le même discours à propos des Casins. Noble Pierre Pagès, écuyer, habitant du bourg de Margueron, âgé de 36 ans, rapporte les exactions que Goutte a commises dans le village des Pauverts, à Ligueux, et dans ceux des Eyriaux et Pagès, à Margueron.

Maître Louis de Villars, avocat en la cour, âgé de 34 ans déclare que, au village des Blanchards, paroisse de Ligueux, Etienne Goutte aurait exigé des habitants de la dite paroisse, même de feu Maître Jacques Villars, son père, la somme de 600 livres, quoi que les habitants de la dite paroisse, qui doit au roi par chacun an 19 boisseaux de froment et quelques 8 livres d'argent, eussent par chacun an payé au roi la dite redevance.

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Du 8 novembre 1632, un acte de la procédure contre Etienne Goutte lui faisant défense "de s'immisser en la levée des deniers appartenant au Roy, provenans de la liquidation de son Domaine, à peine de la vie jusqu'à ce qu'il ait faict arester son Estat au Conseil". Depuis 1621, Goutte n'a toujours pas rendu ses comptes.

Ces gens sans histoire, depuis leur installation à Ligueux, dans les années 1470, avaient géré leurs biens sans changement. Ils continuaient de payer le même loyer annuel qui, l'argent perdant de sa valeur, représentait un montant bien modeste. L'affaire Goutte marque une double mutation.

Quelques nobles profitent de la vénalité de ce personnage pour tenter d'accroître leurs possessions et donc leurs revenus, dans les meilleures conditions, puisque les biens nobles sont exempts de l'impôt foncier.

Et puis, Goutte reprend à son compte la volonté d'essor économique de l'époque qui s'exprime en particulier dans le commerce du vin : lui, comme d'autres, fait complanter des domaines en vignes. Ce mouvement possède une force remarquable. Sainte-Foy a pris la tête d'un groupe économique dont le but est d'obtenir les meilleures conditions possibles pour la commercialisation de ses vins sur les marchés extérieurs. C'est l'avènement du Pays de Nouvelle Conquête dont Sainte-Foy s'érige en Capitale.

5 - Bilan du renouveau

De 1470 à 1510, environ, la paroisse de Ligueux participe à la "reconstruction" qui s'opère dans les zones que les dernières décennies de la Guerre de Cent Ans avait ruinées. Les documents qui se rapportent à cette période et à ce mouvement sont peu nombreux mais permettent d'établir une séquence historique et d'en dégager les principaux caractères.

Le repeuplement permet la reprise des activités : agriculture, moulins, artisanat, commerce. Il s'accompagne d'un recul de la petite noblesse en pays foyen, les terres abandonnées étant intégrées dans le domaine royal. Il installe et structure une forte solidarité entre les habitants du ténement avec l'obligation de relever rapidement les ruines, de remettre les terres en valeur et de payer un loyer global qui porte sur le tènement, à charge pour les tenanciers d'en partager le montant entre eux.

On pourra discuter de l'ordre chronologique de ces diverses opérations qui établissent un renouveau économique et restituent le cadre des structures féodales et ecclésiales. Mais surtout, on constate que l'on ignore tout ou presque de l'histoire de la paroisse avant cette époque. Par manque de documents, les questions qui se posent ne reçoivent que des réponses partielles et dans le cas général, pas de réponse du tout : la paroisse de Ligueux comptait-elle une ou plusieurs seigneuries, quelles étaient les éventuelles familles seigneuriales de Ligueux pendant le Moyen Age, où se trouvaient les villages médiévaux et combien étaient-ils, comment se présentaient-ils, etc...

De même, si l'on connaît assez bien le cadre général des événements qui, de 1400 à 1453 apportent la ruine et la désolation dans l'Entre-Deux-Mers et dans quelques zones proches, avec les derniers combats et brigandages de la Guerre de Cent Ans, une étude sur ces événements dans la juridiction de Sainte-Foy - et à Ligueux - reste à écrire.

Je n'ai pas mis la référence des documents que j'ai consultés aux Archives nationales et aux Archives départementales de la Gironde. J'ai consulté quelques documents dans des archives privées.

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