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Le pays foyen
15 novembre 2010

L'Arbalestrier à Pineuilh

La semaine dernière, un Belge de passage à Sainte-Foy me demande l'origine d'un nom de lieu-dit de Pineuilh : l'Arbalestrier. Je vous laisse repérer sa situation sur cette carte des années 1870.

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Le sens de ce nom est clair, l'Arbalestrier, c'est l'arbalétrier, "le soldat armé d'une arbalête". Littré, qui donne cette définition, cite un exemple du XIIIe siècle. Du Cange, dans son Glossarium mediae et infimae latinitatis, note le mot Arbalestrius.

Ce toponyme n'est pas fréquent, ni dans sa forme française, ni dans sa forme patoise : Balestè, Balestrè. Ainsi, en Dordogne, les Arbalestes à Saint-Aubin de Cadelech et Balestrie dans la commune du Coux. Le vicomte de Gourgues signale ces lieux-dits sans citer de documents les concernant. Dommage : nous aurions disposé de repères chonologiques, même indirects.

Il faudra donc chercher des documents anciens citant l'Arbalestrier de Pineuilh. Seront-ils suffisant pour établir l'origine de ce toponyme ?

Sous l'ancien régime, l'Arbalestrier était le nom d'un tènement, c'est-à-dire d'une métairie dépendant de la seigneurie de Pineuilh. Un document de 1767 donne sa description. Il contient 16 journaux, 3/4 de journal et 8 escats, soit un peu plus de 7 hectares. Ses tenanciers doivent verser chaque année, au seigneur de Pineuilh, 5 poignerées 4 picotins de froment, 3 poignerées et 1 picotin de seigle, 2 poignerées et 3 picotins d'avoine, et 9 sols et 8 deniers d'argent.

arbalestrier

La rente annuelle donne une première indication : froment, avoine et seigle fournissent les principales récoltes de l'Arbalestrier. Le tarif de la rente ressort d'une reconnaissance rédigée par un notaire foyen, Fraissinet, le 24 septembre 1604. Ce tarif est plus élevé que ceux des autres tènements de la seigneurie de Pineuilh dont la plupart ont été reconnus dans les années 1470.

Il est difficile d'en conclure que la métairie de l'Arbalestrier a été achetée par le seigneur de Pineuilh au début du 17ème siècle. Il faudrait se reporter à l'acte rédigé par ce notaire foyen en 1604.

Il s'agit de Naudin Freyssinet dont les minutes de 1591 à 1620 ont été déposées aux Archives départementales de la Gironde. Maître Freyssinet dirigeait-il une petite étude ? Le registre des minutes pour l'année 1616 contient 123 pages ; 79 pages pour 1617 et 210 pages pour 1620, ce qui est peu, comparé aux nombreuses pages noircies par ses collègues foyen, en particulier, maître Lajonie. Freyssinet ne possédait pas de maison dans Sainte-Foy, et je n'ai pas pu repérer les membres de sa famille ni ses alliances.

En tout cas, c'est lui qui est chargé, en 1604, de faire l'inventaire de toutes les archives portant sur les droits des seigneurs de Pineuilh. Il semble que l'intégralité de ce document n'ait pas été conservé. J'en ai lu avec soin le résumé qu'on en conserve. Le nom d'Arbalestrier n'y figure pas. Ce qui ne veut pas dire que ce nom n'existait pas au début du 17ème siècle ni auparavant.

Poursuivons notre recherche sur l'Arbalestier, comme on écrivait alors, au début du 17ème siècle. Le seigneur de Pineuilh n'était pas le seul à posséder des terres dans ce lieu.

Un acte de 1609 désigne un autre propriétaire : les cordeliers de Sainte-Foy, qui louent leur terre à Léonard Binard. Les cordeliers possédaient cette pièce de terre au moins depuis le 6 janvier 1504.

Au début du 17ème siècle, les bénédictins de Conques possèdent toujours une pièce de terre, sise à l'Arbalestrier. Ce sont certainement les plus anciens propriétaires connus, à cet endroit. On sait qu'ils sont arrivés sur les bords de la Dordogne à la fin des années 1100, où ils se sont fait donner le domaine du Véneyrol par le seigneur de Pineuilh. En 1255, ils sont dépossédé de ce manse par le comte de Toulouse, Alphonse de Poitiers, frère de saint  Louis, qui y fait édifier la bastide de Sainte-Foy. Les bénédictins ont conservé plusieurs petites possessions, dont cette pièce de terre sise à l'Arbalestrier. Le 10 août 1632, ils la cèdent aux récollets de Sainte-Foy.

Ainsi, au début du 17ème siècle, nous trouvons trois propriétaires et peut-être d'autres que je n'ai pas repérés, pour un gestionnaire qui "loue" et met en valeur les terres des uns et des autres, Léonard Binard.

J'ai trouvé une dizaine d'actes concernant ce personnage, à la fin du 16ème et au début du 17ème siècle. Il sort d'un petit village de Pineuilh jouxtant Mourennes à l'est, et qui tient son nom de ses ancêtres : les Binards. Ce lieu-dit figure sur les cartes de Cassini et de Beleyme, établies à la fin du 18ème siècle. Il existe toujours, avec la maison de la famille Goubie.

Au début du 17ème siècle, Léonard Binard gère la métairie de l'Arbalestrier, qui dépend du seigneur de Pineuilh, et aussi, la terre dépendant des cordeliers de Sainte-Foy. Il possède des biens dans le tènement voisin des Terciers et dans la paroisse proche de Saint-Avit du Moiron.

Je retiens deux actes qui le concernent.

En 1609, il assiste au mariage de Jehan Lajonye dit Binardet dont il est le parrain. Jean Lajonie appartient à une puissante famille foyenne. Il possède des biens dans le tènement des Binards, d'où son surnom et dans celui des Terciers. C'est un voisin et un ami de Léonard Binard. L'amitié cimente les relations de voisinage.

Le second acte montre les relations établies entre les Binard et Andrieu Audoyn dont le métier consistait à fabriquer des arbalètes. Le 22 février 1620, la veuve de Binard, honneste femme Mariothe Bargaran, vend à Andrieu Audouyn, arbalestrier habitant au village de Péchaurieu, paroisse de Fougueyrolle, une vache à poil rouge et un jeune veau de l'age de trois mois ou environ, aussi de poil rouge, payables à la saint Michel.

Les Audoin sont une famille établie à Sainte-Foy. Deux de ses membres sont bouchers. Ils sont en relations commerciales avec les gantiers, parcheminiers et tanneurs de la ville : ils leurs revendent les peaux des animaux qu'ils tuent. Les tanneries sont installées sur le ruisseau du Ranse. Jeanne Audoin, riche héritière de la famille, possède des terres qui s'étendent entre ce ruisseau et le tènement de l'Arbalestrier.

Jusqu'où vont ces relations de voisinage et d'affaires attestées entre les Binard et les Audoin ? L'arbalestrier Andrieu Audoin a-t-il habité et exercé son métier dans ce lieu-dit de Pineuilh auquel il aurait donné son nom ? C'est une hypothèse séduisante, mais ce n'est qu'une hypothèse.

Audoin est bien installé à Fougueyrolle où il s'est marié. Le 9 avril 1598, Jacques Lambert, un des pasteurs de Sainte-Foy, lui donne en métayage, pour 4 ans et 4 cueillettes, les terres labourables, pres, vignes, peyssages que ledict Lambert a scitues dans la parroisse de Fougueyrolle.

lambert

Le 15 avril 1592, Jacques Lambert achète un pré à la Tuque, paroisse de la Rouquette, à Jacques Bérard, qui habite au village de Péchaurieux, paroisse de Fougueyrolles - exemple de l'écriture de l'époque.

Et, en 1600, Andrieu Audouyn, maistre arbalestrier et autres reconnaissent le village de Pechaurieu qu'ils tiennent de François de Ségur.

Autre piste de recherche : ce toponyme vient-il d'un nom de famille ? Les archives de l'abbaye Sainte-Croix de Bordeaux mentionnent un chevalier nommé Arbalestrer en 1453. Aux Archives départementales de la Gironde, le fonds d'Arlot de Saint-Saud contient un petit dossier sur une famille d'Arbalestrier. Je ne l'ai pas consulté. On ne trouve pas ce nom de famille en pays foyen au 16ème siècle ni au 17ème siècle. Il semble donc que ce toponyme ne vienne pas d'un nom de famille.

Conclusion :

Les terres de l'Arbalestrier ont été occupées et mises en valeur depuis des temps immémoriaux : les plus anciens propriétaires attestés sont les moines de Conques qui s'installent en pays foyen à la fin du 11ème siècle. L'histoire des propriétaires et des gestionnaires de ces terres apporterait de précieuses informations. Elle est cependant extrêmement difficile à rédiger.

J'ignore l'origine de ce nom de lieu-dit, l'Arbalestrier, même si l'explication par le métier d'arbalestrier d'Andrieu Audoin reste une hypothèse séduisante.

Enfin, il est évident que la toponymie est une discipline "exigeante"...

Je n'ai pas mis les cotes d'archives pour alléger le texte. Elle figureront dans la plaquette qui sera publiée un jour.

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