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Le pays foyen
5 septembre 2011

Du témoignage : l'essentiel

"Du témoignage" est le titre d'un ouvrage que Jean Norton Cru consacra aux récits publiés par des témoins de 14-18, la plupart ayant été combattants.

Ici, il s'agit de témoignages sur les Juifs à Sainte-Foy de 1939 à 1945 - voir le cahier déjà cité. L'ensemble des témoignages présente une cohérence que les documents d'époque (archives publiques et privées, journaux et revues) ne laissent pas subsister. Par exemple, page 21, M. Puyaubert cite "la solidarité active" du Stade Foyen et de la Jeunesse Catholique Foyenne. Il n'a pas consulté les archives de ces associations et ce qu'il affirme se résoud en contrevérités. Il relèvera beaucoup d'autre cas de ce type quand il aura consulté ne serait-ce que les Archives départementales de la Gironde et de la Dordogne.

Les suppositions, les conjectures et les affirmations infondées de la présentation (p. 11) et de l'étude du "problème de la mémoire" (p. 138) s'accompagnent d'un manque de définitions, en particulier des divers aspects de la collaboration locale et du milieu protestant foyen de l'avant-guerre et de la période 39-45. Quand à l'arrestation et à l'exécution de six Juifs au début du mois d'août 1944, la présentation passe sous silence les autres arrestations faites le même jour. De quoi s'interroger sur les méthodes et les buts de l'historien.

J'ai déjà signalé quelques invraisemblances historiques et des non-dits dans quelques témoignages. Il y aurait tant de choses à dire, que tel témoin a passé sous silence, peut-être par oubli : le diplomate protestant membre de la commission d'amnistie franco-italienne, l'histoire du violon de René Mélamed, les conditions d'"hébergement" des réfugiés, le cahier-journal d'Emile Herpe... Sans oublier l'association de souvenirs de diverses provenances présentés comme des faits vécus et qui ne sont que de la fiction.

M. Jean-Claude Dagassan, qui était bien jeune à l'époque, parle de : "Monsieur Cramoisy, un ébéniste, qui a reçu le matin durant toute la guerre un coup de téléphone de la mairie foyenne lui indiquant le nombre de cercueils à prévoir pour la semaine". Les Cramoisy n'ont eu le téléphone que longtemps après la guerre. Il suffit de consulter d'anciens annuaires pour le constater. Erreur plus grave : pendant toute la guerre, la mairie foyenne aurait su à l'avance le nombre de morts qui surviendraient dans la semaine. La confusion est manifeste, peut-être avec la tenue de la cour martiale du Grand-Bornand (22-24 août 1944) et, à propos des trois cercueils que M. Dagassan cite dans la phrase suivante, avec la mort de Joseph Dalibon et de ses deux fils, Georges et Géo, tués à Pressignac le 21 juin 1944. Un lecteur vigilant ne peut pas ne pas relever une erreur aussi manifeste.

Le cahier cité ne donne aucune définition de la collaboration. Il n'est pas facile de distinguer les diverses formes parfois associées de collaboration :

- Adhésion à la politique de collaboration du maréchal Pétain qui peut rester du domaine personnel et que l'on partage parfois dans tel groupe social. C'est le cas de possédants foyens, propriétaires terriens et rentiers, dont de nombreux protestants. C'est le cas de tels pasteurs qui exhortent leur petit troupeau, en chaire, à soutenir la politique du maréchal Pétain, au moins jusqu'à la fin de l'année 1942.

- Propagande active pour la politique de collaboration du maréchal Pétain - C'est le cas de Roger Verdier qui, contrairement à ce qui est indiqué page 21 ne fut pas milicien (je conserve la liste des miliciens du pays foyen établie à l'époque). C'est encore la cas de protestants royalistes foyens dont il sera question plus loin. C'est enfin le cas de Foyens inscrits dans diverses structures : Légion Française des Combattants, corporation agricole, mouvements politiques, etc.

- Engagement actif dans la collaboration par le travail volontaire en Allemagne. C'est le cas de ce jeune homme de Pineuilh, abonné à la revue Signal et qui a gardé diverses brochures de propagande allemande en français. C'est encore le cas de ce fils de riche famille, germaniste et germanophile, embauché par les usines Röchling et à qui Hermann Röchling dédicace l'ouvrage 50 Jahre Röchling Völklingen le 29 février 1944.

- Engagement actif dans la collaboration, les armes à la main. C'est le cas des miliciens ou de tel GMR foyens (Groupe Mobile de Réserve). C'est encore le cas de Foyens engagés dans la Légion des Volontaires Français contre le Bolchévisme.

- Collaboration économique. C'est le cas de tels négociants, de viticulteurs et de caves coopératives du pays foyen qui ont eu, pendant la guerre, un client supplémentaire, l'armée allemande, de gré ou de force - Après la guerre, la justice n'a retenu comme délit que les opérations commerciales volontaires.

A côté de ces engagements dans la collaboration, une majorité de foyens (comme de Français), entreprit des actions de solidarité dans le but d'obtenir un mieux-être collectif. Beaucoup de ces actions eurent pour cadre une structure chapeautée par Vichy, comme le Secours national, mais que l'administration de Pétain ne prétendait-elle pas régenter ? La propagande utilisa ces actions de solidarité, ce qui ne signifie pas que tous ceux qui y participèrent furent pétainistes ni collaborateurs ; ni qu'ils le restèrent quand ils le furent.

M. Puyaubert ne définit pas non plus les protestants foyens, ce qui entraîne confusions et erreurs qui offrent une belle légende dorée qui trahit la vérité historique.

Jusqu'en 1939, il y eut trois communautés protestantes à Sainte-Foy : les concordataires du grand temple, les évangéliques de la chapelle du boulevard Gratiolet et les libéraux du temple de l'évenue Paul-Bert. Juste avant la guerre, évangélique et libéraux fusionnèrent malgré leurs profondes différences théologiques.

Pendant la guerre, et de façon générale, les protestants du grand temple suivirent le maréchal Pétain jusque dans sa volonté de collaboration. Chez les protestants, ils ne furent pas les seuls, et beaucoup de sermons donnés en chaire en témoignent. Au moins jusqu'en juillet 1942, le pasteur du grand temple participa aux fêtes officielles (Jeanne d'Arc, fête du 1er mai - ma saint-Philippe, fête du Service d'Ordre de la Légion,...) et y prit la parole. Les fêtes du SOL se déroulaient dans le parc prêté par un notable protestant du grand temple. En présence du pasteur, de notables protestants et d'une foule de curieux, on y chantait l'hymne des Cohortes qui est le chant du Service d'Ordre de la Légion : 

“Pour les hommes de notre défaite
Il n’est pas d’assez dur châtiment
Nous voulons qu’on nous livre les têtes
Nous voulons le poteau infamant!
S.O.L., faisons la France pure :
Bolcheviks, francs-maçons ennemis
Israël ignoble pourriture,
Ecœurée, la France vous vomit.” 

Les évangéliques de Sainte-Foy ne participèrent à aucune des manifestations publiques de l'Etat français et ne s'engagèrent pas dans les voies politiques tracées par le maréchal Pétain. L'influence de Marc Chambon et de Jean Corriger, conseillers presbytéraux, et celle du pasteur Cazalis est manifeste. Cette paroisse est une exception dans le paysage protestant de l'époque - il y en eu d'autres en France. La ligne officielle était claire : le 12 octobre 1942, la commission permanente des Eglises Evangéliques Indépendantes écrivit à ses pasteurs pour exprimer sa loyauté à l'égard du chef de l'Etat et sa soumission aux autorités ; de plus, "elle implore la miséricorde et le pardon de Dieu sur Israël". Cette dernière phrase paraît aberrante si on ne se réfère pas à la théologie protestante de l'époque. Pourtant, elle résumait la norme. J'en dirai un mot plus loin.

Quand aux libéraux, c'est en leur sein que s'était constitué un groupe de royalistes influencés par Maurras. Ce groupe était animé par leur pasteur. Pendant la guerre, ce groupe devint collaborateur d'opinion et de propagande, pasteur compris. On trouve des articles de plusieurs membres de ce groupe dans la presse collaboratrice. L'un de ces protestants avait porte ouverte à la Kommandantur de Bordeaux et noua des relations de confiance avec Besson-Rapp dans l'été 1943.

La théologie protestante de l'époque, unanimement partagée à Sainte-Foy pendant la guerre, considérait le Juif comme un aveugle qu'il convenait de convertir. Les catéchismes de l'époque sont formels à cet égard et le nouveau testament fournit suffisamment de prescriptions pour étayer cette théologie : "Allez par tout le monde, et prêchez la bonne nouvelle à toute la création. Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné" (Marc, 16, 15-17). Les évangéliques s'en tinrent à leur mission de prosélytisme avant que le respect du Juif en tant que tel et l'aide qu'on pouvait lui apporter ne prennent le dessus. Nous avons vu que jusque dans l'été 1942, au moins, des notables du grand temple et leur pasteur cautionnèrent l'antisémitisme de Vichy et ses mesures de persécution.

Dans ce cadre dogmatique traditionnel, les thèses de Karl Barth n'avaient aucune place et passèrent inaperçues des protestants foyens. Claude Odilé, un intellectuel strasbourgeois réfugié à Saint-André et Appelles avait lu Barth. Il constitue une exception locale. Au début de 1939, la revue protestante "Le matin vient" lança une campagne d'adhésion en pays foyen en envoyant un numéro gratuit dans lequel il est question du théologien allemand. Je n'ai pas constaté que cette campagne fut ici suivie d'effets. Par contre, beaucoup de protestants renouvelèrent leur abonnement à "L'Illustration" qui publiait les articles percutants, réguliers et résolument collaborateurs de Jacques de Lesdain.

Page 14, apparaît la haute stature du pasteur Boegner : "En 1943, c'est au tour du pasteur Marc Boegner, de passage dans la capitale girondine, de faire état de ses démarches en faveur des Juifs persécutés afin d'inciter à un élan de résistance civique". C'est oublier que dès l'été 1940, le pasteur Boegner se fit un conférencier itinérant de la Révolution nationale et parcourut les zones protestantes du sud de la France pour redire "les problèmes que j'ai abordés dans tant d'églises" (17 février 1941). Le 10 juin 1941, il intervint à Sainte-Foy pour demander à son auditoire d'apporter "un appui total" au maréchal Pétain. Pour Boegner, les valeurs de la Révolution nationale étaient analogues à celles de la Réforme et il les cita à son public foyen : "honnêteté, probité, dévouement, conscience, droiture, devoir".

Le maréchalisme fervent de Boegner, connu mais volontiers passé sous silence, s'il n'est pas anodin, est resté tenace. Le 24 octobre 1940, après sa rencontre avec Hitler, à Montoire, Pétain déclara : "C'est dans l'honneur et pour maintenir l'unité française, une unité de dix siècles, dans le cadre d'une activité constructive du nouvel ordre européen, que j'entre aujourd'hui dans la voie de la collaboration". La presse rendit compte abondamment de l'événement, la France entière fut informée. Et le pasteur Boegner ? Il persista dans sa ferveur maréchaliste.

Le 24 septembre 1941, devant le Conseil National de l'Eglise Réformée de France, Boegner redemanda "de soutenir plus fortement encore le maréchal Pétain et ceux qui travaillent dans sa ligne". Le pasteur Boegner était membre du Conseil national instauré par Pétain pour donner une base idéologique à son régime. Ils assista aux réunions solennelles de divers cénacles collaborateurs dont ses carnets ne rendent pas compte. A la fin de 1942 ou au début de 1943, le pasteur Boegner fut décoré de l'ordre de la Francisque.

De grandes rafles de Juifs se déroulèrent pendant l'été 1942. Le 7 septembre 1942, le pasteur Boegner envoya une lettre personnelle aux pasteurs de la zone non occupée, leur demandant "d'associer leurs paroissiens à l'aide qui doit être apportée aux Juifs". Le 10 novembre suivant, Boegner interrompit ses tournées de propagande pétainiste.

Le cas du pasteur Boegner illustre l'attitude de tant de Français qui témoignèrent de leur admiration zélée pour Pétain et lui apportèrent leur soutien avant de le lâcher en tout ou en partie. Les notes des préfets soulignèrent l'ampleur que prit cette désaffectation à partir de 1943 ; désaffection qui fut contrebalancée par des mesures de persuasion et de contrainte de plus en plus sévères et nombreuses.

Quelles furent les causes profondes de cette admiration et de ce soutien au maréchal Pétain que l'on constate à Sainte-Foy ? On retient la vénération pour le vieux chef de la Première Guerre Mondiale. On cite moins souvent l'effort considérable entrepris par l'administration Pétain, après l'armistice du 22 juin 1940 pour "remettre la France en ordre". Il y a aussi l'anticommunisme des notables et des rentiers qui avaient perdu tout ou partie de leur fortune quand les Bolchéviques répudièrent les emprunts russes en 1918. Dans cet entrelac de causes s'ajoutent l'influence des maurassiens et l'antisémitisme alors banalisé. Un exemple : qu'on lise les archives secrètes de la Wilhelmstrasse et on sera édifié sur la banalisation de l'antisémitisme dans les chancelleries de l'Europe occidentale à la veille de la guerre. Et tant d'autres causes liées aux opérations militaires et aux projets politiques d'une Europe nouvelle, unie et, évidemment, forte. 

Des événements qui se déroulèrent à Sainte-Foy les 4, 5 et 6 août 1944, M. Puyaubert présente l'arrestation de Juifs, à Sainte-Foy et l'assassinat de six d'entre eux. Il ignore qu'en même temps, furent arrêtés cinq notables et plusieurs domestiques agricoles. Les notables sont Jean Blondel, maire de Saint-André et Appelles, Pierre Bertin-Roulleau, maire de Sainte-Foy la Grande, Jean-Marie Lamothe, chef de la résistance foyenne, le garagiste Masson, un de ses adjoints, et Pierre Lart, directeur de l'hôpital, tous arrêtés ès-qualités.

J'ai déjà relaté ces évènements et les négociations qui furent aussitôt engagées pour faire libérer les notables seuls, je dis bien les notables seuls, les Juifs et les domestiques agricoles n'ayant pas fait partie des négociations. Celles-ci aboutirent rapidement à la libération de Bertin-Roulleau, Lamothe, Masson et Lart. Le "cahier-journal" d'Emile Herpe donnerait de précieuses informations sur le début du mois d'août à Sainte-Foy. Dans son témoignage, M. Daniel Herpe ne mentionne pas ce document pourtant essentiel. Il faut retrouver le "cahier-journal" d'Emile Herpe et le publier. Et à défaut, publier les extraits qui en furent pris à l'époque.

65 ou 70 ans après les événements, il est évident que des témoignages bruts ne suffisent pas pour restituer un époque, même dans un de ses aspects, "Les Juifs à Sainte-Foy-la-Grande, 1939-1945". Beaucoup de souvenirs se sont effacés ou sont volontairement omis : les dates précises, les acteurs importants, des événements, les courants d'opinion et leur évolution, la théologie réformée de l'époque et tant de faits de la vie quotidienne. Il est dangereux et vain de prétendre les décrire à partir de rien : ni souvenirs vérifiés, ni archives. Déjà, il faudrait relever les erreurs, les confusions et les contrevérités qui enrobent des vérités et ne pas se contenter d'une critique externe lacunaire par certains aspects et par d'autres, globale et donc hors du sujet local.

Ces témoignages sont autant d'histoires personnelles accrochés à l'Histoire. Au mieux, ils donnent une image de la bonne conscience locale, en 2011, devant des évènements qui se sont déroulés à Sainte-Foy de 1939 à 1945, dont l'assassinat de six Juifs qui a, dans une certaine mesure, traumatisé les esprits.

L'Histoire des réfugiés Juifs à Sainte-Foy, de 1939 à 1945 reste à écrire. Après avoir soumis les témoignages à une critique interne, comme cela aurait dû être fait, et après avoir consulté le maximum d'archives et de documentation. 

                                                                                                    Jean Vircoulon

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