L'assassinat de Roger Verdier
Longtemps, cette prof de fac considéra Roger Verdier comme un dénonciateur affublé de la panoplie d’un collaborateur de bas-étage. Elle affirmait : « J’en ai la preuve, il y a une lettre de dénonciation dans le dossier sur Riocaud de 1939 à 1945 récemment versé aux Archives départementales de la Gironde. Je l’ai photocopiée ».
Ce dossier faisait partie d’un versement que venait de faire la préfecture de la Gironde, il y a un peu plus de 30 ans. Rien n’était classé, tout était entreposé impasse Poyenne. J’avais vu ce dossier à l’époque. Il ne contenait aucune lettre de dénonciation. Plusieurs fois, Je l’ai dit au prof. « Mais si, il y en a une que j’ai photocopiée », répondait-elle.
Récemment, je lui parle de la lettre de dénonciation. Elle m’a raconté : un agriculteur de Riocaud avait deux cochons. A l’époque, les cochons recevaient un nom de baptême et, au moment des cochonnailles, on leur donnait une marraine. L’agriculteur les avait appelés « Verdier » et « Henriot ». Pour lui, Verdier et Henriot vivaient et mangeaient dans la merde, comme tout cochon, ce qui indique les opinions politiques de notre homme.
Un jour, l’agriculteur écrivit à un correspondant : « je vais bientôt tuer Verdier et Henriot ». La lettre fut ouverte par la censure et n’eut pas de suite, « Verdier et Henriot » étant pour tous des noms de cochons. La prof. tenait cette lettre pour preuve d’une dénonciation par Verdier, et elle l’avait photocopiée. Elle m’expliqua : « ce n’est pas possible que Verdier n’ai pas été mis au courant de cette lettre et qu’il n’ait pas dénoncé l’agriculteur ».
Deux suppositions ne font pas une vérité historique et il n’y a pas de lettre de dénonciation émanant de Roger Verdier.
Un vieil ami qui a vécu l’époque m’avait dit : « Si Verdier avait dénoncé, il aurait commencé par Mme de Hautecloque, épouse du général Leclerc : elle habitait le château des Vergnes, aux Lèves, à peu de distance du château de Picon, domicile de Philippe Henriot, et de celui de La Fosse, domicile de Roger Verdier. C'était le triangle des châteaux occupés par des gens célèbres. Mme de Hautecloque n’a jamais été inquiétée pendant l’occupation ». On ne fait pas de l’histoire avec des « si », certes, mais ce témoignage exprime la complexité de l’époque, une complexité qui nous échappe en grande partie.
J’ai rencontré des témoins directs de ces événements et j’ai trouvé plusieurs écrits d’époque les concernant. La suite nous précipite dans l’horreur : assassinat de Roger Verdier, de son épouse et sa belle-sœur à Sainte-Foy. Puis, assassinat d’un jeune beau-frère de Roger Verdier, de l’agriculteur et de son fils.
Le jeune beau-frère fut tué en pays duraquois. Il faisait un soleil radieux. "Puisque vous voulez me tuer, faites le !", dit-il aux FTP, et il ouvrit a chemise en présentant sa poitrine. Les autres tirèrent et couchèrent son corps dans le trou qu'ils lui avaient fait creuser.
L’agriculteur avait quitté Riocaud pour s’installer comme boucher dans une commune proche. Il abattait vaches et cochons dans un hangar qui existe toujours, au bord de la route. Le sang des bovins se perdait dans le fossé. Tout le monde était au courant et en profitait pour se ravitailler. L’administration locale fermait les yeux : comme tant d’autres dans les communes du canton de Ste-Foy et à Ste-Foy même, le boucher contrait ainsi les difficultés d’approvisionnement.
A la Libération, au cours de l’été 1944, son fils partit à pied pour Sainte-Foy. A Saint-Philippe du Seignal, un maquisard l’assassinat. Le lendemain, le père, inquiet, partit à la recherche de son fils. Le même maquisard le tua près du corps de son fils.
Ce double meurtre fut justifié après coup par un bouche-à-l ’oreille qui se voulu définitif : « le fils avait sur lui le nom des résistants de la commune qu’il apportait à la Kommandantur de Ste-Foy ». Il n’y eut jamais de Kommandantur à Ste-Foy et les opinions des deux victimes auraient dû les préserver de la mort.
A suivre