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Le pays foyen
29 décembre 2018

Un négociant en vins pendant la Seconde Guerre Mondiale, les Établissements Grenouilleau, à Sainte-Foy la Grande

A la veille de la Seconde Guerre Mondiale, les Établissements Grenouilleau disposaient d'une assise commerciale considérable1.

Leur organigramme schématique, établi actuellement, montre les multiples activités nécessaires à la bonne marche de l'entreprise. De vigne en verre, cet établissement jouait un rôle de courtier en vins en achetant des vins aux vignerons locaux, surtout des vins blancs qui firent la renommée de la Maison ; après que les assemblages courants à l'époque et les grands crus sélectionnés aient reçu un conditionnement adapté, il les vendait dans toute la France métropolitaine2.

La mobilisation, la drôle de guerre, la Blitzkrieg, le repli vers le sud de millions de fuyards, civils et militaires, la ligne de démarcation, le manque de matières premières et de produits phytosanitaires et tant d'autres avatars cassèrent en tout ou en partie des pratiques bien rodées qu'Auguste Grenouilleau et son frère Jean, les directeurs, rétablirent au plus tôt. Pendant l'occupation allemande, ils maintinrent et développèrent leur entreprise. Pour les vieux Foyens d'aujourd'hui, ce négoce de vins, comme tous ses confrères, profita alors d'une double clientèle, la française traditionnelle et celle de divers organismes nazis, avec pour corollaire : il y avait de l'argent à faire, il fut fait. Un viticulteur né en 1932 ajoute : « C'est toujours ça de récupéré sur les sommes considérables versées chaque jour aux troupes d'occupation en France »3.

Quelques rares vieux Foyens rapportent la légende tenace des contrôles réguliers d'officiers allemands dans les Etablissements Grenouilleau, avec l'avantage de montrer une connivence immédiate entre le négociant foyen et l'ennemi. C'est faux. S'il y eut connivence, ou plutôt « accommodement », pour reprendre le mot de Philippe Burrin, ce fut d'une façon indirecte.

A la tête de la société comprenant sept firmes, se trouvaient deux frères, Auguste et Jean Grenouilleau. Bernard, leur frère cadet, occupait un modeste poste de représentant à Paris, qui se développa de façon spectaculaire pendant l'occupation allemande. Auguste fut le patron incontesté, efficace et respecté. On l'appelait « Monsieur Auguste » même hors de sa présence, et « notre sieur Auguste », dans les lettres dictées par Albert Fort, son fondé de pouvoir responsable de la correspondance et du recrutement. Son frère Jean eut droit aux mêmes égards. Pour tous, leurs épouses étaient « Madame Auguste » et « Madame Jean ». Bernard, le parisien, échappa à ce type de bienséance. Ce furent les seuls Foyens à être désignés ainsi.

Voici cet organigramme. Avec les directeurs et les membres du conseil d'administration, il évoque l'activité de centaines de personnes : viticulteurs et leurs équipes, personnel de chais, de bureaux et d'ateliers, fournisseurs, commissionnaires et représentants, clients, transporteurs, etc. dont il est difficile de déterminer le nombre précis. Cependant, chaque aspect du travail et chaque type de relation furent définis et réalisés selon les directives d'Auguste Grenouilleau, de son frère Jean ou de leurs fondés de pouvoir, Charles Sandaran, Albert Fort et Henri Dupuy4.

1 – Les firmes

La maison Grenouilleau exerça ses activités au travers de sept firmes.

2 – Provenance des vins

Viticulteurs locaux, caves coopératives, propriété de Capian (Château Peyrat, devenu propriété des Ets Aurélien Grenouilleau le 1er juillet 1936).

3 – Travail et conservation des vins

Laboratoire, cuverie.

4 – Vente des vins

Conditionnement (bouteilles, barriques, fûts, muids et demi-muids, citernes, wagons, et donc : fournisseurs de bouteilles, étiquettes, bouchons et capsules, tonneliers, garagistes).

Réseau de représentants, commissionnaires, voyageurs (souvent pour chaque firme).

Réseau de clients dans toute la France métropolitaine.

Transporteurs (camions, rail, messageries maritimes, « transitaires »).

Huit banques (dont les Banques de France de Libourne et de Bergerac).

Litiges (avocats, un avoué libournais).

5 – Frais généraux et divers

Garage privé (de septembre 1939 à juin 1940, 90 fournisseurs dont 8 foyens).

Impôts, taxes, contributions indirectes, allocations familiales, eau, gaz, électricité, Poste et téléphone, assurances.

Contacts divers : agent voyer foyen, organisations professionnelles, responsable local des contributions indirectes.

6 – Personnel

Chai, administration, garage et représentants.

J'ai évité la documentation postérieure à la période choisie. Par contre, j'ai utilisé beaucoup d'ouvrages, de revues et de journaux (annuaires, informations générales, viticoles, agricoles, bulletins Dalloz, index législatif du commerce et de l'industrie,...), et une documentation émanant des Établissements Grenouilleau et d'archives publiques, depuis les années 1920 jusqu'à 1945.

Plusieurs vieux Foyens m'ont permis de consulter leur documentation ou m'ont donné leur témoignage sur leurs aïeuls qui furent administrateurs ou employés des Établissements Grenouilleau. Je les en remercie.

J'ai choisi d'approfondir plusieurs thèmes : les firmes, la provenance des vins, le réseau des représentants et le maillage des clients avant et après la Blitzkrieg, l'application des lois sur l'aide sociale (appliquées avant guerre et poursuivies par Vichy), la mobilisation, la déroute et les lois édictées par Pétain sur le travail, le cas de Fred Rosenfeld, représentant de « confession israélite » et la gestion des wagons. Ces points de vue différents donnent sur une même perspective historique.

Le plan chronologique permet de distinguer et de préciser les handicaps multiples que l'entreprise surmonta et s'ouvre sur les problèmes qui marquèrent l'époque, par exemple, la destruction des voies de communication et du réseau de la clientèle dans le nord de la France, après la Blitzkrieg, les difficultés d'approvisionnement, le rationnement et l'utilisation des « bons-matière », la législation appliquée aux « Juifs », les biens mis sous séquestre par l'occupant, et tout simplement, le degré d'adhésion d'un gros négociant à la politique menée par le maréchal Pétain et ses équipes.

Occupée à reconstruire une France forte et enfin débarrassée des ennemis de l'intérieur (communistes, « Juifs » et francs-maçons, en particulier), l'administration Pétain n'utilisa jamais, ou si peu, deux mots : défaite et récession. Elle s'efforça de répondre aux besoins de la population de la métropole en optimisant des possibilités laminées par la guerre (destructions multiples, populations déplacées) et aux obligations imposées par l'occupation allemande (coût journalier, prélèvements des denrées et de matériel dont, pour ce qui nous occupe, du vin et des wagons-citernes). Cette gestion au plus près et au mieux fut encadrée par une réglementation réactive immédiate et toujours respectueuse du droit de propriété : dédommagements pour faits de guerre, intervention des assurances, tarifs de locations divers. D'emblée, l'administration Pétain géra la « question juive » avec autant de vigueur. A propos de Fred Rosenfeld, nous décrirons l'attitude des Établissements Grenouilleau face à « la question juive ».

Voici le plan de travail selon lequel j'ai classé mes notes.

1 – Les Établissements Grenouilleau à la veille de la guerre.

2 - La mobilisation et la drôle de Guerre.

3 – La Blitzkrieg.

4 – L'occupation nazie

5 - La Libération et la question des profits illicites

6 – Conclusion.

1 - Les Établissements Grenouilleau à la veille de la guerre.

11 - Les firmes.

A la veille de la guerre, la maison Grenouilleau comprenait sept firmes officielles :

  • Établissements Aurélien Grenouilleau (créés en juillet 1892, successeurs de la maison Audon fondée en 1820)5.

  • Entrepôts agricoles Girondins (ancienne maison Orry, fondée en 1880).

  • Ets Martin-Mercier (création en 1881).

  • Ets Henri Duroux et Cie, (fondé en 1909).

  • Les successeurs de Chanceaulme de Sainte-Croix (Maison fondée en 1919).

  • Ets Sarrazin (figure sur l'annuaire de 1932).

  • Compagnie des Amis des Vignerons Girondins (création des Etablissements Aurélien Grenouilleau).

A ces sept firmes ajoutons la maison Laplace.

Comment furent organisées ces firmes autour de la maison mère ? Je ne dispose pas des statuts qui furent modifiés en décembre 1938 puis le 1er janvier 19406 et je ne peux pas donner de réponse précise à cette question. Cependant, il est avéré que la Maison Grenouilleau utilisa ces firmes pour resserrer le maillage de sa clientèle d'acheteurs en France métropolitaine. Tout était bon pour atteindre ce but, de l'image lénifiante qui ressort de propos et d'écrits en contradiction avec des pratiques commerciales roboratives. La maison Grenouilleau fit feu de tout bois pour s'emparer d'un maximum de parts du marché, comme le montre cette lettre signée par Auguste Grenouilleau le 1er décembre 19387 :

« Contrairement à ce que vous puissiez penser et à ce qui peut se dire, notre Maison n'a pas de firmes, c'est-à-dire qu'elle ne prospecte aucunement la clientèle sous des raisons sociales diverses créées de toutes pièces. Ce qui est exact, c'est que nos moyens financiers nous permettent d'actionner diverses Maisons de notre place dont les titulaires sont décédés ou ont abandonné le commerce soit par raison de santé, soit après fortune faite, soit après des déboires commerciaux. Il ne faut pas oublier qu'il y avait à Ste Foy la Grande en 1920, 60 expéditeurs, forfaiteurs8, patentés, et que bien peu ont résisté à la crise qui a sévi. Il est resté tout de même dans chacune de ces organisations, des chais, des bureaux, des employés, des intéressés qui ont voulu vivre et qui ont demandé à diverses maisons de la place de les épauler. Les maisons que nous épaulons ont toutes leur indépendance, et pour leur prospection, et pour leur vente, et pour leurs achats, à condition de respecter nos directives générales9. Cela nous a permis de les canaliser en quelque sorte et d'obtenir que, sans faire cesser leur concurrence à notre égard, leurs conditions de vente notamment ne sont pas différentes des nôtres du moins pour une tranche déterminée de marchandises car il est évident que certaines d'entre elles au moment d'une hausse, peuvent avoir comme nous-mêmes un certain stock, de marchandises dont elles peuvent faire profiter leurs clients, mais cela ne peut se produire que pendant un décalage de quelques jours ; le chiffre d'affaires de chacune d'elles dépendant de l'activité de ses représentants, nous estimons que dans ces conditions, nos représentants n'ont pas à être particulièrement froissés des affaires qu'ils peuvent échapper lorsqu'elles vont à une concurrence que nous épaulons, au lieu d'une concurrence que nous n'épaulons pas. Ce qui est certain, c'est qu'il n'y a aucune interpénétration entre les maisons que nous épaulons et la nôtre »10.

Quelques lignes citent les firmes dans une plaquette publiée en 1954 pour marquer la remise de la Légion d'Honneur à Auguste Grenouilleau. On y retrouve ce même angélisme11 : « La concentration des entreprises a voulu que les Établissements GRENOUILLEAU deviennent les conseillers techniques et les soutiens financiers d'un consortium constitué par les Maisons suivantes :

  • Ets A. GRENOUILLEAU

  • Ets MARTIN MERCIER,

  • Soc. Henri DUROUX et cie

  • Soc. Les Successeurs de S. CHANCEAULME de SAINTE-CROIX

  • les ENTREPOTS AGRICOLES GIRONDINS

  • la COMPAGNIE DES AMIS DES VIGNERONS GIRONDINS » 

Un retour à la réalité aide à séparer le vrai du faux, pour laisser subsister l'état d'esprit des frères Grenouilleau. Certes, l'histoire de la viticulture en pays foyen reste à écrire. Cependant, on constate qu'est passée sous silence la crise du phylloxéra dont l'apogée, en pays foyen, dura de 1872 à 1876 et décima la profession de courtier. Contrairement aux affirmations d'Auguste Grenouilleau, il ne semble pas que la crise économique du début des années 1930 ait eu des conséquences terribles sur l'ensemble de cette profession.

En 1920, Sainte-Foy comptait 25 courtiers et non 60 comme l'écrivait Auguste Grenouilleau dans sa lettre du 1er décembre 1938, ou 68 dans une lettre du 20 février 1942. La crise du début des années 1930 a peu éclairci leurs rangs. En 1932, Sainte-Foy comptait 21 courtiers et négociants en vin, mais Pineuilh a porté leur nombre de 1 (la Maison Sarrazin) à 5 (dont cette même Maison Sarrazin).

Qu'en est-il de cette crise économique des années 1930 qui, selon « Monsieur Auguste », avait décimé les négoces foyens de vins et amené les Établissements Grenouilleau à devenir « les conseillers techniques et les soutiens financiers d'un consortium » de négoces foyens de vins ? De trop rares éléments de réponse écornent la belle image brossée par « Monsieur Auguste » et contredisent ses dires.

Reprenons la liste des firmes que « Monsieur Auguste » dit avoir sauvées de la faillite. A quelle date sont-elles tombées dans l'escarcelle du négociant ?

La maison Orry, fondée en 1880 après le pic de la crise du phylloxéra figure dans les annuaires de 1918 et 1922. Elle fut rachetée par les Ets Grenouilleau avant la crise économique des années 1930. Cette maison devint les « Entrepôts Agricoles Girondins ». Du négoce d'origine, il ne reste à ma connaissance, qu'une vue cavalière des chais prise vers 1905. J

Je n'ai guère trouvé d'informations sur les maisons Martin-Mercier, Duroux et Chanceaulme de Sainte-Croix. L'annuaire de 1918 mentionne deux « négociants en vins en gros », M. Martin et M. Mercier. Celui de 1922 ne donne que M. Martin. La Maison Duroux ne figure plus dans cet annuaire, et seul celui de 1918 mentionne Chanceaulme de Sainte-Croix. Rien à leur propos dans l'annuaire de 1930, il semble que les Établissements Grenouilleau les achetèrent avant cette date.

Dans les années 1920, la maison Sarrazin s'associa avec celle de S. Mathieu qui était un riche négociant en vins de Sainte-Foy. Vers 1960, de vieux foyens qui avaient bien connu S. Mathieu se rappelaient qu'il avait été à la tête d'un établissement prospère : « Il employait cent salariés environ, disaient-ils, et il avait même un agent à Compiègne ». Ils pensaient que Mathieu aurait dû vérifier les livres comptables de Sarrazin avant de s'associer avec lui, parce que la crise des années 1930 amena leur faillite12. Les Établissements Aurélien Grenouilleau rachetèrent ce négoce et conservèrent le nom de « Sarrazin » qui fut attribué à une de leurs firmes.

Cependant, en 1938, le nom de la « maison Sarrazin » n'était guère utilisé. Le 8 décembre, les Établissements Grenouilleau payèrent la prime d'assurances trimestrielle de « l'ex-police Sarrazin ». A cette époque survint la modification des statuts des Établissements Aurélien Grenouilleau. Pendant l'occupation allemande cette firme reprit une activité météoritique. Elle ne figure plus sur la liste de 1954.

La Compagnie des Amis des Vignerons Girondins fut une création de la maison Grenouilleau.

Léonce Chavaroche avait créé un négoce de vins situé à Pineuilh, sur la route qui mène de la gare au passage à niveau de Saint-Philippe13. De cette maison, subsistent des cartes postales imprimées au début du 20ème siècle. Elles en montrent l'importance. Les chais disposaient d'une voie ferrée privée qui les reliait au réseau proche du chemin de fer. Léonce Chavaroche mourut relativement jeune en mars 1912. L'annuaire de 1918 mentionne la veuve L. Chavaroche, celui de 1922 « Chavaroche ». Son fils ne voulant pas lui succéder, il vendit ses biens aux Établissements Grenouilleau. Les chais Chavaroche devinrent les chais n° 4 des Établissements Grenouilleau14. Ils étaient situés route de la Gare, à l'emplacement de l'actuelle résidence des Mourennes.

Les Établissements Grenouilleau achetèrent aussi le négoce de M. Larroque dont il reste une photo des dirigeants et de leur personnel, devant la porte majestueuse de leur établissement route de Saint-Philippe du Seignal15.

Auguste Grenouilleau ne cite pas ces deux cas dans sa lettre du 1er décembre 1938, peut-être parce qu'ils vont à l'encontre de la thèse qu'il présente à son correspondant. Il ne cite pas non plus la Maison Laplace autre firme plutôt endormie à la veille de la guerre16. Pourtant, pendant l'occupation allemande, on constate que la Maison Laplace continua de servir de gros clients, par l'intermédiaire, entre autres, d'un représentant17 efficace, Fred Rosenfeld. Celui-ci appartenait à une famille bordelaise de négociants en vins et gérait lui-même une maison de vins à Bordeaux18. Il était de « confession israélite », pour utiliser les termes de Monsieur Auguste, de « race juive », pour reprendre la terminologie antisémite de Vichy. A son sujet, nous décrirons l'attitude des Établissements Grenouilleau face à « la question juive ».

Dans sa lettre du 1er décembre 1938, Auguste Grenouilleau ne cite pas le nom de négociants foyens concurrents dont il avait acheté les entreprises, comme Chavaroche et Larroque, ou qu'il avait terrassés, comme Lhéritier19. Car « Monsieur Auguste » et ses commis menèrent une guerre commerciale continue, tenace et décisive contre leurs concurrents locaux les plus fragiles20. Une même stratégie fut appliquée en pays foyen et au plan national : tenir au mieux les marchés du courtage et de la vente, par l'éviction de la concurrence.

Reprenons la lettre du 1er décembre 1938. Les deux frères Grenouilleau soulignaient pour leurs clients et leurs représentants qu'ils se contentaient d'épauler des firmes « en toute indépendance », jusqu'à qualifier celles-ci de « confrères »21. Mais les firmes ne constituaient pas un « consortium » : elles appartiennent en tout et pour tout aux Etablissements Grenouilleau. Elles furent de simples prête-noms, chacune avec son adresse, son papier à lettre, son (ou ses) compte(s) en banque et ses représentants. Chacune se spécialisa dans une qualité de vins (de l'ordinaire à des appellations contrôlées – Bordeaux, Ste-Foy-Bordeaux, Bergerac, St-Emilion, Médoc... ) et à un type défini de clientèle (du grossiste à l'épicerie fine).

La transformation de la société en nom collectif en société anonyme fut rapide22 comme l'indique une lettre du 31 décembre 1938 que Jean Grenouilleau adresse au Directeur de la Banque Nationale pour le Commerce et l'Industrie de Bordeaux. A propos de traites émises au profit des firmes, il écrit : « cette dénomination étant un simple nom de firmes appartenant à notre Maison de Commerce, nous vous prions de considérer ces effets comme étant endossés par notre Société et de les porter au crédit de notre compte ». De fait, les firmes avaient déjà perdu toute forme d'indépendance, si elles en avaient déjà profité, ce que devaient ignorer la plupart des représentants, les clients et même les Foyens23.

12 - Le réseau des agents commissionnés

Pour l'année 1939, la comptabilité établit le montant des commissions à verser aux 324 personnes qui avaient apporté des commandes.

Voici la répartition de ces personnes dans les firmes :

  • Etablissements Aurélien Grenouilleau 94

  • Compagnie des Amis des Vignerons 85

  • Société Henri Duroux 48

  • Ets Martin-Mercier 29

  • Entrepôts agricoles Girondins 26

  • Successeurs de Chanceaulme de Sainte-Croix 24

  • Laplace 18

Six personnes seulement représentaient de deux à six firmes : deux Foyens, MM. Sengès et Chantereau, représentaient respectivement 4 et 6 firmes, les autres n'avaient que deux cartes chacun. 31 Foyens figuraient parmi ces pourvoyeurs de commandes24.

La firme « Sarrazin » n'apparaît pas dans cette liste, bien que, selon « notre sieur Auguste », elle faisait alors partie du « consortium ». Cependant, un Foyen, M. Sarrazin, reçut en 1939 une petite commission.

La firme « Laplace » n'apparaît pas non plus dans le consortium de 1938. Elle disposait cependant de 18 commissionnaires en 1939 qui lui apportèrent un chiffre d'affaire modeste jusqu'en janvier 1941. Dans l'été 1943, elle honora quatre commandes et, semble-t-il, cessa son activité.

Cependant, dès la Blitzkrieg, « Laplace » apparaît comme réservé à un personnage efficace, négociant en vins à Bordeaux, Fred Rosenfeld dont le nom ne figurait pas dans la liste de 1939. Rosenfeld avait été associé à un négoce de vins bordelais, « Les successeurs d'Achille Posso ». En 1937, il décida de créer son propre négoce spécialisé dans la vente de vins blancs, et prit contact avec les Établissements Grenouilleau. Messieurs Auguste et Jean lui proposèrent de le prendre comme « agent commissionné ».

Voici le statut d'un agent commissionné défini par Messieurs Auguste et Jean. Ce texte propose une commission de 7 francs par hectolitre commandé, la commission habituelle étant de 5 francs. En contrepartie, notera l'observateur actuel, l'agent commissionné est entièrement lié à son employeur25.

« En principe, vous vous domicilierez commercialement à Ste-Foy. Vous nous autoriserez à retirer votre courrier. Vous visiterez votre clientèle avec vos agents. Nous vous indiquerons les conditions à pratiquer. Ces conditions correspondent aux nôtres. Sur les affaires conclues par vous à votre nom et à nos conditions, nous vous créditerons de 7 frs par hecto pour les vins courants et d'un pourcentage plus élevé pour les vins supérieurs. Vous pourrez faire les surventes à votre profit. Sur la remise qui vous sera faite, vous aurez à rétribuer vos agents. Les frais de correspondance, les frais d'envoi d'échantillons, les frais d'escompte et les risques de crédit, seront entièrement à votre charge. Les frais de voyage et les frais d'impression de papier à lettres, factures, étiquettes, etc... etc... seront entièrement assumés par vous. Vous serez en somme, en réalité et au point de vue fiscal, un simple agent commissionné, avec votre entière liberté de direction et de déplacements ».

Le 4 août 1937, Rosenfeld proposa le statut de « négociant en fictif » que les frères Grenouilleau lui accordèrent aussitôt : « La façon dont je souhaite travailler avec votre estimable Maison est celle courante d'un négociant en fictif chez un autre avec cette exception cependant que vous confirmerez facturerez et tirerez traite directement sur mes clients, mais sur mes en têtes, tous risques d'impayés à votre charge ».

Un agent commissionné et un négociant en fictif apportaient des commandes, assumaient les dépenses afférentes, des frais de secrétariat à ceux de déplacement. Un négociant en fictif restait négociant, c'est-à-dire responsable de sa gestion et de ses revenus devant le fisc et les assurances sociales, comme tout agent commissionné, ce qui convenait aux Établissements Grenouilleau même s'ils prenaient à leur charge les factures, les règlements et les risques d'impayés.

Certes, le négociant en fictif gérait son courrier, et surtout, il pouvait jouer à son avantage entre trois prix pour un même article, le prix de propriété, le prix courant, et pour certains produits, la « survente » qui était une augmentation souvent conséquente du prix courant26. Rosenfeld avait intérêt à prendre lui-même les commandes sans passer par des agents qu'il aurait commissionnés. Monsieur Auguste le lui expliqua, Rosenfeld le savait. Comme il travaillait aussi pour d'autres négoces, celui de Jérôme Reiss, son beau-frère, et d'autres chez lesquels il était en fictif, Rosenfeld employa des agents et des représentants.

Fred Rosenfeld était travailleur et volontaire. Riche d'une expérience de plus de 15 ans, il allait à l'essentiel et savait écouter. Il créa son négoce de vins à Bordeaux début août 193727, et établit son siège social dans les locaux de Jérôme Reiss, son beau-frère, lui-même négociant en vins à Bordeaux. Reiss se chargeait de la correspondance et Rosenfeld visitait les clients.

Il ne fallut qu'un mois à Rosenfeld pour créer son négoce. Après une visite et des conversations téléphoniques avec les frères Grenouilleau, le 4, Rosenfeld s'accorda avec eux. Le 6, il utilisait un nouveau papier à lettre : « Spécialité de vins blancs / Expédition directe des lieux de production / Commission et forfait / Maison d'expédition à Sainte-Foy-la-Grande (Gironde) », avec son nom, son expérience professionnelle et son adresse à Bordeaux. Le numéro de son compte bancaire, resté en blanc, figura dès le 18 août, avec son adresse pour télégrammes. A la fin du mois, Fred Rosenfeld reçut enfin de sa licence de négociant. Sa première commande date du 2 septembre. Si le mot avait été à la mode à l'époque, on l'aurait qualifié de battant.

D'emblée, Messieurs Auguste et Jean apprécièrent ces qualités : Fred Rosenfeld avait de l'envergure.

2 - L'entrée en guerre : la mobilisation

Voici des chiffres donnés par Henri Amouroux :

« Au 1er août 1939, l'armée française d'active compte 875 000 hommes pour l'armée de terre, 50 000 pour l'armée de l'air et 90 000 pour la marine. En deux étapes, avant même que la guerre soit déclarée, elle passera à 2 448 000 hommes pour l'armée de terre, 110 000 pour l'armée de l'air, 126 000 pour la marine. La mobilisation générale, décidée le 2 septembre, portera, avec 1 450 000 affectés spéciaux, les effectifs totaux à 6 104 000 hommes, dont 4 654 000 soldats »28.

La France affirmait avoir la première armée du monde29. La ligne Maginot était infranchissable et la presse expliquait volontiers qu'Hitler ne s'y frotterait pas30. La guerre qui s'annonçait ne pouvait être qu'une guerre de position comme de 1914 à 1918.

A la fin du mois d'août 1939, la presse louvoyait entre la « propagande » réservée aux articles sur la situation générale et l'information rejetée en pages intérieures, dans les rubriques locales et les sports31.

Le mot de propagande peut paraître excessif : les journaux et revues de cette époque dont La Petite Gironde et L'Illustration, très lus en pays foyen, présentaient à leurs lecteurs une image sereine et lénifiante de la guerre, qui était la version officielle. Il n'était pas envisagé, comme en août 1914, de se retrouver à Berlin en quelques jours, en chantant la victoire32. La guerre et tant d'efforts pour préserver la paix concernaient surtout la Pologne, Dantzig, le monde entier, qui s'agitait et bouillonnait, du Japon à l'Italie, de l'Espagne aux États-Unis d'Amérique, de la Russie soviétique à la Grande Bretagne. On lisait qu'Hitler était seul, qu'il était un trublion isolé, qu'il menait un jeu de poker menteur et qu'il finirait pas s'incliner. On le croyait parce que des gens occupant des postes éminents l'écrivaient sans cesse.

Lundi 28 août 1939, La Petite Gironde publia un article de son rédacteur en chef, Jacques Lemoine, qui se terminait par un vibrant cocorico33 : Et si le malheur des temps fait que le tocsin sonne encore une fois dans nos campagnes françaises, toutes remplies de souvenirs tragiques ou glorieux, dont chaque parcelle de sol contient un morceau de notre histoire, et qui ne sont que l’œuvre patiente du sacrifice et de l'effort, dans la paix comme dans la guerre, de nos ancêtres, tous, enfants de France, nous nous lèverons encore pour le salut commun, et notre coude à coude fraternel ne connaîtra plus qu'un appel : Au drapeau ! Tout dans cet article faisait écho à la Grande Guerre et son titre interloque un lecteur d'aujourd'hui : Au cœur de l'épreuve morale. Jacques Lemoine réduisait la guerre à une épreuve morale alors que les écoliers apprenaient qu'ils devaient l'impôt du sang à leur pays. Le hiatus qui frappe le lecteur d'aujourd'hui n'est qu'apparent : beaucoup de lecteurs de La Petite Gironde avaient fait la Grande Guerre.

La drôle de guerre confirma cette étonnante sérénité attentiste de la presse alors qu'un désarroi profond gagnait la France, provoqué par la mobilisation, les réquisitions et le repli des réfugiés lorrains et alsaciens. Nous en montrerons l'importance à propos des Établissements Grenouilleau.

La mobilisation intervint brusquement et fut réalisée en quelques jours, fin août et début septembre 1939. Elle entraîna plusieurs générations d'hommes sous les drapeaux, des jeunes gens jusqu'aux cinquantenaires. A une époque où le chef de famille tenait une place primordiale, ce fut un décrochage social d'une ampleur considérable. Partout, dans l'administration, l'industrie, le commerce et l'agriculture, la mobilisation grippa les rouages de l'économie en enlevant des personnes souvent irremplaçables.

Avec les déplacements de personnes et de populations, la mobilisation et la déclaration de guerre augmentèrent le désarroi, pour ne pas dire la pagaille. On connaît assez bien le cas des réfugiés lorrains et alsaciens. Celui de déplacements ponctuels et multiples en métropole est resté méconnu. Même si les désagréments qu'ils provoquèrent furent traités au cas par cas, ils constituent un aspect non négligeable de la mobilisation.

Dès le début de la guerre, le ministère des Travaux publics demanda à la population civile de Paris d'évacuer la capitale tant que les transports sont normalement assurés. En même temps, on a entrepris l'évacuation des enfants des écoles de la Ville de Paris et de la région parisienne34. La Petite Gironde donne ces informations en deux brèves. Par contre, lorsqu'il s'agit des scouts parisiens intégrés à l'effort de guerre, et partant pour la province pour assurer la relève aux champs vidés par la mobilisation générale, L'Illustration consacre 4 pleines pages et 9 photos à ce sujet de faible portée35.

Il n'en va pas de même avec la réquisition de bureaux, de logements et de villas qui furent mis à la disposition de militaires d'active ou mobilisés. Le colonel d'intendance Goby eut un bureau et un logement à Bordeaux, dans la faculté de Lettres36, comme une nuée de militaires. Dans les grandes villes du pays, ils géraient les étapes de la mobilisation et des réquisitions. Des villas situées sur la côte atlantique ou à proximité furent réquisitionnées par l'armée, et mises à la disposition de petites unités de militaires. Ce fut le cas de la villa que les frères Grenouilleau possédaient à Royan. Ils exigèrent et obtinrent que la location, les impôts locaux et les frais divers, en particulier les notes de téléphone soient réglés par les occupants, autrement dit l'armée et l'Etat. Pierre Cazaux, employé des Établissements Grenoulleau fut mobilisé à Libourne dans la défense passive37. Le groupe auquel il appartenait fut logé dans des locaux réquisitionnés que ses précédents occupants avaient entièrement vidés38. Pour matelas, de la paille sur le plancher. N'ayant aucun instrument de cuisine, on fait la soupe dans des lessiveuses. Cazaux indiquait leur seule mission : il y a les tranchées que nous avons à faire dans divers lieux de la ville.

Un écrit du 14 septembre évoque la direction de leur Établissement par les frères Grenouilleau. Monsieur Jean avait fait la Grande Guerre. Malgré ses 51 ans, il est mobilisé à la Défense passive à Bordeaux depuis le 25 août. Monsieur Auguste, 53 ans, engagé et réformé à la dernière guerre, se trouve obligé, en raison de sa situation de Président du Syndicat viticole de Capian, de faire partie de la Commission agricole de cette région et de procurer des moyens aux propriétaires de faire les vendanges tant bien que mal. En outre, il y a à Sainte-Foy et environ plus de 2000 réfugiés dont nous nous occupons également39.

En pays foyen, les réfugiés furent accueillis du mieux possible40. Mais peu de Foyens eurent conscience qu'ils avaient subi l'invasion allemande en 1870, puis de 1914 à 1918, dommages humains et matériels afférents, et qu'ils firent partie de l'Allemagne de 1870 à 1918. Beaucoup les appelèrent les Boches de l'Est41 à cause de leur accent et de leur « patois ». Dans le détail, j'ignore quelle fut l'attitude des Établissements Grenouilleau à leur égard42.

D'autres employés de Grenouilleau furent mobilisés, des cavistes jusqu'aux membres du conseil d'administration comme Jean Grenouilleau, déjà cité, et Henri Dupuy, responsable de la comptabilité. Il est probable que la plupart furent rapidement démobilisés entre la mi-septembre et la mi-octobre.

Quand la Première Guerre mondiale éclata, Auguste travaillait dans les chais, en sabots et avec un grand tablier bleu43. En septembre 1939, son négoce de vins était devenu l'un des plus florissants de France. Monsieur Auguste avait la réputation de payer ses achats rubis sur l'ongle, d'être exigeant, très regardant, proche de ses employés et de parole. Il avait la réputation d'un grand patron paternaliste et social44. En septembre 1939, Monsieur Auguste fut seul pour affronter et régler d'énormes problèmes.

Il fut confronté au démantèlement de ses réseaux de commissionnaires et de clients, à l'effondrement des marchés et des recettes, les traites émises sur ses clients n'étant plus honorées. Les firmes qu'il gérait furent privées de leurs employés mobilisés, des camions et des wagons-citernes, réquisitionnés.

A la fin du mois d'août ou dans les premiers jours de septembre, tous les véhicules appartenant aux Établissements Grenouilleau furent réquisitionnés avec leurs chauffeurs : camion Rochet-Schneider, camion Berliet, camion Latil, camion Matford, camion Renault, tracteur Latil 519 GA 7. Des chauffeurs écrivirent à Auguste Grenouilleau pour le rassurer ou l'informer. Le 8 septembre : Soyez tranquille, je le mènerai comme dans le civil. Je suis à Pessac dans un parc je fais le transport en ville mais, sa durera pas45. Le 13 septembre : Je vous informe que je suis réquisitionner avec le camion et que je suis a Yvrac46.

Le 8 septembre, l'atelier de réparation, situé 9 rue Chanzy fut réquisitionné47. Ce maelstrom social et économique touchait toute la métropole. Le 13 septembre, un courtier de Cadillac écrivit à MM. Grenouilleau : le désarroi doit exister chez vous comme partout où le personnel et les moyens de transport ont été requis.

Albert Garnier, qui tenait un commerce de vins fins à Meursault, en Côte-d'Or, témoignait de son cas particulier qui fut un cas général en métropole. Le 19 septembre, il écrivit à Monsieur Auguste : tous ces événements sont terribles pour le commerce, et comme vous tributaires de Mobilisés, notre caisse est presque vidée. De plus aucune affaire commerciale, aucune rentrée ; c'est déplorable.

Le 13 octobre, la maison Blandat, négociant en vins à Bordeaux, confiait à Monsieur Auguste : Les retours impayés de ma clientèle sont très importants. Le 15 octobre, ce dernier reçut la lettre du jeune Jean Villatte, quinze ans, fils du mobilisé, lui demandant le report d'une traite. Je suis seul, écrivait-il. Il y eut une atmosphère de chacun pour soi alourdie par un sentiment d'impréparation, voire d'inutilité de maintes décisions prises par le gouvernement et l'autorité militaire.

Le 12 septembre, Pierre Cazaux, employé de Grenouilleau, lui écrivit : Voici déjà onze longs jours que je suis mobilisé et que j'ai quitté votre Maison... Que de deuils, de misères et de souffrances en perspective !... Que faire la plupart d'entre nous faire vivre nos femmes et nos enfants avec 10 sous par jour et une perspective lointaine et difficile pour bénéficier des allocations militaires ? Vraiment, la guerre est la chose la plus épouvantable qui puisse s'abattre sur la pauvre humanité à cause de tout ce qu'elle laisse d'horreurs et de misères derrière elle.

Du Bergeracois au Médoc, zone d'achalandage de notre négociant – partout, en fait, les vendanges prochaines posèrent des problèmes quasi insolubles : que faire des vins de la vendange précédente, qui garnissaient les cuves et que les négociants qui les avaient retenus ne pouvaient ni enlever faute de camions, ni payer faute d'encaisse48 ? Comment leur verser des acomptes quand des avalanches de traites restaient impayées ? Avalanche est le mot employée par Henri Dupuy, responsable de la comptabilité des Ets Grenouilleau, mobilisé lui aussi, dans une lettre du 17 septembre : Je suppose qu'il doit y avoir une avalanche d'effets impayés. Que font les banques ? Vous obligent-elles à combler le découvert que ces retours occasionnent ?

L'échéance des effets fut repoussée et les banques commencèrent à prendre des agios, avant de retirer rapidement leur appui. Le 24 octobre, Auguste Grenouilleau affirma : notre banque, vu le roulement de crédit que nous avons dans notre clientèle sérieuse nous faisait une avance de fonds. Étant donné les événements internationaux, cette avance nous a été coupée. Finies les traites à 60 ou 90 jours, l'avenir semblait bouché : les banques imposèrent à leurs clients une gestion au jour le jour. N'ayant pas vu les relevés bancaires des firmes de Grenouilleau, cette affirmation correspond-elle à la réalité ? Ne s'agit-il pas plutôt de la justification des pratiques qu'adoptèrent les Établissements Grenouilleau ?

Nous décrirons ces pratiques et il restera à mener une étude fine des documents bancaires de notre négociant. Pendant les premiers mois de ce que l'on appela la drôle de guerre, les priorités de monsieur Auguste furent : assumer, préserver, subsister, redémarrer.

Le 3 septembre, M. Estovert, à St-Sauveur de Puynormand demanda une avance de 2000 francs sur la vente de ses vins à Grenouilleau. Moi, comme les camarades, je part le 10 jours et je vous assure que faute d'un petit acompte de votre part, je suis obligé de laissait, une femme et trois enfants sans argent et moi partir de même. Lettre émouvante, avec son orthographe et sa syntaxe malmenées. J'ignore la réponse.

A suivre

1 Sauf indication, les documents utilisés proviennent de la documentation de l'auteur.

2 Avant la guerre, la Maison Grenouilleau servait parfois un petit client à Bruxelles. Elle avait quelques correspondants en Algérie, à Oran, Alger et Mostaganem, et s'il lui arriva d'y traiter quelques rares affaires, achat et revente sur place de vins ou de barriques et muids vides, elle acheta rarement des vins d'Algérie pour les importer en métropole. Elle n'a donc aucune stature internationale. M. Robert Puel créa le secteur « exportation » en 1960 (Entretien avec M. Puel, 25 octobre 2017).

3 Témoignage de M. P. B., de Landerrouat, entretien du 8 novembre 2017.

4Charles Sandaran fut responsable du choix et de l'achat des vins ; Albert Fort, de la correspondance et du recrutement des secrétaires, et Henri Dupuy de la comptabilité – je remercie la fille du premier, un neveu du second et la petite fille du troisième pour les informations qu'ils m'ont apportées. Ces trois responsables travaillaient chez Grenouilleau depuis la fin de la Grande Guerre (Alfred Fort fut embauché en 1920. Ils eurent pour principaux collaborateurs MM. Courget, Georges Roudet, Maurice Renou, Guy Tharaud, Robert Godard, Guy Hansen, Jacques Pierrot et Mmes Odette Normat, Jeanne Monteil, D. Pétriacq. Fin 1938, Henri Duroux est déjà décédé, et Henriette Tocheport vient de mourir.

5 En 1874, Sainte-Foy la Grande compte six « courtiers en vins » dont un Grenouilleau. La maison de la « Veuve Audon et fils » figure parmi les vingt commerçants en « vins et spiritueux ». Edouard Féret, Statistique générale... du département de la Gironde, Paris-Bordeaux, Masson & Féret, 1874, p. 749. J'ai donné de brèves indications entre parenthèses.

6 Une circulaire du 1er février 1940 précise : « Nos Établissements, qui étaient, depuis 1919, une Société en nom collectif, formée exclusivement entre MM. Auguste et Jean Grenouilleau, sont, depuis le 1er Janvier 1940, une Société anonyme au capital de 20.000.000 de francs.

Depuis plus de dix ans, cette transformation a été étudiée et prévue. Pour arriver à ce résultat, sans qu'il y ait novation, notre Société à deux associés est devenue Société à 7 associés, puis Société anonyme à capital réduit, puis enfin, dans le courant de Décembre dernier seulement, Société à capital important.

Ces différentes transformations ont fait l'objet, depuis plus de trois ans, de différentes publications légales dans les journaux régionaux accrédités ;

C'est dire que la situation de guerre n'est absolument pour rien dans la transformation intervenue.

Le résultat recherché, et actuellement définitivement acquis, répond à une seule préoccupation : assurer la pérennité de nos Établissements quoiqu'il arrive ; faire de tous nos biens un bloc indissoluble...»

7 Lettre d'Auguste Grenouilleau à un correspondant de Limoges qui pose sa candidature pour une place de représentant, le 1er décembre 1938.

8 Celui qui a conclu un marché à forfait.

9 Le 20 février 1942, Auguste Grenouilleau reprit ces arguments en donnant des chiffres de plus en plus fantaisistes dans une lettre à Jean Deygas, représentant à Saint-Etienne : En 1920, après la dernière guerre, il y avait 68 négociants à Ste-Foy avec chais achalandés. Il ne reste plus que quelques maisons qui ont dû se constituer en consortium pour essayer de donner vie aux épaves.

10 Vers 1960, à Ste-Foy, on racontait en riant la mésaventure d'un représentant qui croyait avoir apporté un nouveau client à la Maison Grenouilleau, alors qu'il s'agissait d'un client d'une autre « firme » du groupe. Cette mésaventure se produisit combien de fois ? Ainsi, le 17 avril 1940, dans une lettre adressée à un représentant de la Firme Laplace (appartenant à Grenouilleau) : « Nous n'avons reçu aucun ordre de ce client pour votre compte. Par contre, l'agent de la Maison Grenouilleau a bien passé une commande pour ce client ».

11 Jan Bertin-Roulleau, « De 1820 à 1954, Établissements Aurélien Grenouilleau, Cent trente quatre ans de commerce et de probité ». Plaquette de 8 pages, sans nom d'imprimeur ni lieu d'édition. Cette plaquette, revue et corrigée, fut à l'origine de celle qui fut éditée en 1955, « Ets Aurélien Grenouilleau, Cent trente cinq ans de commerce et de probité », Ateliers A.B.C., Paris, s. d., 8 pages. Avec leurs points communs (la fondation de la Maison en 1820 par des Grenouilleau) et leurs différences (tel chiffre d'activité gonflé en 1955), ces deux plaquettes font feu de tout bois pour la meilleure publicité possible. Ont-elles seulement été distribuées ?

12 Témoignages de P. P., R. L. et E. V. ; un témoignage très récent à vérifier : La famille Mathieu aurait possédé plusieurs maisons dans la partie ouest des rues Chanzy et Marceau. En 1927, Mathieu intervint auprès de MM. Flageol et Blondel, mais à quel sujet ?

13Cet établissement a été démoli pour laisser place à la rédidence des Mourennes.

14En 1938, le maître des chais n° 4 était M. Courget.

15 Actuelle annexe des Asiles John Bost. Porte et façade ont été conservées.

16 La maison Laplace expédie des vins de bonne qualité jusqu'en janvier 1941. 8 commandes honorées en mai juin juillet 1943. Et, semble-t-il, 3 ventes en juillet 1947 et une reprise d'activité à partir de juillet 1957.

17Ce terme de « représentant » sera défini plus bas à propos des lois sociales.

18 Fred Rosenfeld avait été associé à un négociant en vins de Bordeaux, les successeurs d'Achille Posso Aîné. En août 1937, il créa son propre négoce qu'il installa dans les bureaux de son beau-frère, M. Jérôme Reiss et la Maison Grenouilleau l'accepta comme « négociant fictif chez un autre », pratique courante à l'époque.

19 A ma connaissance, il ne reste de la maison Lhéritier qu'une grande photo de son directeur. De la maison Roucheyrolle, courtier à Saint-Philippe du Seignal, ne subsiste qu'un cachet sur un livre de prix, H. Roucheyrolle / Vins / Ste-Foy-la-Grande (Gir.).

20 A Sainte-Foy la Grande, les vieilles maisons Reigner et Gaulhiac subsistent, ainsi que la jeune maison Ménétrey. A Pessac-sur-Dordogne, subsiste la maison Amanieux.

21En décembre 1938, « notre confrère la maison Henri Duroux ».

22 « L'acte constitutif a été passé à Sainte-Foy, le 2 août 1919, puis diverses modifications y ont été apportées par acte du 9 juin 1925, et enfin de nouvelles modifications ont donné lieu à un acte passé le 12 juin 1937. La société part du 1er juillet 1919 pour prendre fin le 30 juin 1949 ».

23 Vers 1970, un viticulteur Foyen, chassant la goose en Irlande, trouva une bouteille de vin vide, avec une étiquette « Duroux, viticulteur à Pineuilh », dont il n'avait jamais entendu parler.

24 Ce sont : Mme Chautereau, Henri Dupuy, Gaulhiac et fils (courtier patenté), Sarrazin, Armandie, Camberou, Cazaux, Cazenave, Chantereau, Lucien Courget, Henri Duroux, Mme Fort, R. Godard, Hansen, Hader, Leymerigie, Lièvre, Maingeaud, Roger Majou, Marcou, Miguouneau, Melle J. Monteil, Pétriacq, Jacques Pierrot, Pinson, Prioleau, Renou, A. Sengès, Tharaud, Melle H. Tocheport, Rémy Vigier.

25 1er août 1937.

26 Augmentation qui allait de 3% jusqu'à près de 20%, dans des cas exceptionnels. Ainsi, le 26 juin 1939, un tonneau de graves de Vayres à 2700 francs subit une survente de 500 francs.

27 « Contrairement à mes premières intentions, j'ai décidé de créer une maison de commerce à mon nom propre », écrit Rosenfeld le 4 août 1937.

28 Henri Amouroux, Le peuple du désastre, 1939-1940, Robert Laffont, 1976, p. 197. Inutile d'additionner les chiffres donnés pas Amouroux. En note, Amouroux précise les deux étapes de la mobilisation avant que la guerre ne soit déclarée : du 21 au 27 août, puis à partir du 27 août. Je conseille la lecture de l'ouvrage d'Alfred Fabre-Luce, Journal de la France, 1939-1944, Bruxelles-Paris, A l'Enseigne du Cheval Ailé, 1947.

29 Par exemple, Colonel Alerme, Les causes militaires de notre défaite, Paris, Publications du Cebtre d'Etudes de l'Agence « Inter-France », s. d. (1941), p. 13.

30En septembre 1939, La Petite Gironde en donne des exemples. Hitler avait donné pour consigne de laisser pourrir la guerre côté français. Voir A. Goutard, 1940, la Guerre des occasions perdues, Hachette, 1956, p. 133, et Jacques-Henri Lefebvre, 1939-1940, le suicide, Notes d'un Correspondant de Guerre, Paris, Durassié & Cie, 1942, p. 11.

31 Dans ses éditions du mardi 29 août 1939, La Petite Gironde annonce le rétablissement de la censure, qui n'est pas, certes, la propagande. La radio fut placée sous l'autorité militaire. L'Illustration, n° 5039, 30 septembre 1939, p. 118 : Disparition du « fait divers », un article d'Albéric Cahuet qui note sa disparition en une des quotidiens. Le monde de la pègre, du vol et du crime a perdu la vedette qui, par ses titres-affiches et ses photographies abusives, dévorait naguère la première page des journaux. Cela transforme, dans la dignité présente des heures, l'aspect si justement discuté de l'information quotidienne.

32Cependant, Ray Ventura et ses Collégiens chantent « On ira pendre notre linge sur la ligne Siegfried qui fut le grand succès de la « drôle de guerre ».

33Jacques Lemoine était alors fermement opposés à tous dictateurs, Hitler, Mussolini en tête.

34 L'Illustration, n° 5036 du 9 septembre 1939, p. 34.

35L'Illustration, n° 5037, 16 septembre 1939, p. 71 à 74.

36Démobilisé après l'armistice, il s'établit à Riocaud.

37 Cazaux avait fait la Grande Guerre et, vu son âge et ses deux enfants, il avait été versé dans la Défense Passive à Libourne.

38Il s'agissait d'un négociant en vins.

39 Jacques Reix me signale qu'il y eut 850 réfugiés alsaciens dans la commune de Port-Sainte-Foy. Pour le canton de Vélines, voir..........................

40 La Petite Gironde du 30 septembre 1939 consacre un long article à l'accueil des réfugiés lorrains. Il mentionne l'accueil remarquable des Foyens et de leur maire, le docteur Bertin-Roulleau.

41 Un jeune mobilisé à Longwy envoya une moitié de ménagère en argent à sa mère. L'autre moitié arrive dans un autre colis, écrivait-il. Ils nous pillent, mais nous ne sommes pas chez nous, ne dis rien, tais-toi, dit à sa fille une réfugiée qui avait aidé à déballer le colis.

42 Une seule information dans notre documentation : Le 16 octobre, un réfugié cherche du travail : Je suis célibataire et tout seul... Je suis mécanicien chauffeur et capable de faire toutes les réparations. Je comprends que vu la situation actuelle je ne pourrai demander qu'un salaire suffisant à subvenir à mes besoins. Il s'agit d'Emile Jantzen réfugié à St-Christophe, canton de la Jarrie, en Charente Inférieure. Combien de refus lui ont été opposés avant qu'il propose son travail à Monsieur Auguste pour peu d'argent ?

43 J'avais recueilli le témoignage d'Auguste Grenouilleau en 1977.

44 Sur la création de cette image : En 1908, Auguste Grenouilleau avait suscité la création du club de rugby local, le Stade Foyen dont son frère Jean fut le premier président. En 1910, il fit représenter une revue restée longtemps fameuse, Sainte-Foy défile. Auguste Grenouilleau présida la Société de Secours Mutuels n° 234 de Sainte-Foy à laquelle cotisèrent la plupart de ses employés. Cette société de secours mutuels cotisait pour ses membres à la Caisse Autonome d'Assurance Mutualiste Chirurgicale. Les frères Grenouilleau avaient affilié leurs employés et entretenaient des relations personnelles avec la caisse primaire N° 18 à Libourne. Voir aussi le Recueil des treize toasts et discours prononcés à l'occasion de la Fête du Centenaire des Établissements Aurélien Grenouilleau célébrée le 12 février 1923 (1820-1920), brochure de 34 p., Bordeaux, Gounouilhou, s. d.

45Lettre de M. Mouragne.

46Lettre de Jean Charrière.

47 L'ordre de réquisition fut signé par Pierre Bertin-Roulleau, maire de Ste-Foy, sur ordre du Préfet de la Gironde.

48 1939, le 18 septembre. M. Espenan, viticulteur à St-Antoine sur L'Isle a vendu ses vins de la vendange 1938 à Grenouilleau. Il lui demande d'enlever sa commande au plus tôt : Je serai très gêné pour loger ma récolte.

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