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Le pays foyen
18 janvier 2019

routine et modernisme de l'agriculture

En 1984, j'avais organisé une rencontre à Vélines sur ce thème, "routine et modernisme dans l'agriculture du pays foyen". Jean Roller connaissait bien cette question et m'avait envoyé le texte qui suit. Je l'ai illustré avec des protos que m'avait communiquées M. Bourges. 

"Pour Jean Vircoulon.

Au sujet de

« Notes sur l’agriculture en Vélinois au XIXe siècle ».

Cette communication est justifiée. C’est même plus ! elle était indispensable car l’évolution se fait sous notre nez sans qu’on pense à placer des repères.

En vous lisant, j’oublie que vous traitez du XIXe siècle ! et je revois l’agriculture et ses problèmes tels que je les ai connus jusqu’en 1945 : arrivée des premiers tracteurs Ferguson par l’aide U.S.A. au compte-gouttes, puis à un rythme plus important à partir de 1950, et c’est là que commence pour moi la transformation rurale.

A part l’effort considérable de la IIIe république pour créer un réseau routier, ferroviaire, fluvial, maritime, colonial, électrique, etc. savez-vous où on en était en 1930 ?

Les routes n’étaient pas goudronnées. Les cantonniers cassaient les cailloux ou la pierre du soleil levant au soleil couchant (ils étaient payés au mètre cube !). Ces routes (nombreuses comme aujourd’hui) étaient détestables, pleines de trous… Les rares automobiles y laissaient du pneu et des ressorts. Tout le trafic campagnard se faisait avec des charrettes tirées par des vaches. En 1939, l’épicier et le boulanger passaient en tournée hebdomadaire avec une voiture à cheval dans la commune de Bergerac. Seul le bazar ambulant disposait d’une camionnette Panhard Levassor bien plus haute que longue.

Le vétérinaire venait soigner les vaches à bicyclette. Le médecin se déplaçait en auto (il fallait être médecin car il n’y avait pas la Sécu. Les malades étaient rares car ils étaient pauvres et ne payaient pas toujours les honoraires).

L’électricité commençait à pénétrer la campagne depuis 1930, et en 1939, une ampoule électrique dans une étable aurait été considéré comme un luxe – ou une lubie (on se servait de la lampe tempête à pétrole).

En campagne, pour la vie paysanne, on était au XIXème siècle en 1939. 

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Un de nos voisins avait un tracteur Fordson (on l’excusait : c’était un ingénieur agro, une sorte de cinglé).

La photo représente un tracteur Fordson.

En 1930 encore. J’allais à mon école à Bergerac à bicyclette (5 km), et avant de partir, je nettoyais ma lanterne, refaisais le plein de carbure et d’eau pour le retour du soir… Il n’y avait point de cantine au cours complémentaire de Bergerac, il fallait emporter le casse-croute dans sa musette.

Et pourtant en ville, l’américanisme faisait des ravages, on commençait à voir des sens interdits, un agent de ville faisait la circulation devant le Tribunal de Bergerac, un autre au pont des Barry, en bas de Saint-Front, à Périgueux.

1939. Les avions atteignaient 500 km/h. Ma moto Gnome et Rhône 350 cc arrivait à 90 km/heure, pour l’utiliser à 60, alors que Coulomb, coureur de Terrot dépassait le 140 à Montlhéry en compétition.

En 1939, la 301 Peugeot avait conquis la France. La traction avant Citroën 11 chevaux faisait fureur.

Bref, le modernisme était créé.

Mais l’argent ne circulait pas surtout à la campagne. Le XIXe siècle s’attardait. La crise compliquait tout et si le champagne coulait à flot dans les boites de nuit et les Musichall citadins, si la vie intellectuelle et artistique battait son plein, la campagne demeurait malheureuse et comme mise à l’écart de la nation.  

L'enfant au vélo, photo des années 1880

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 Un seul désir : quitter la campagne comme les rats quittent le navire en perdition et on assiste à l’exode vers la ville le plus important du XXe siècle.

Je possède deux points de repère : 1930, date à laquelle je quittais le toit paternel pour la pension, l’internat, le service militaire, et 1939 : la guerre.

Si l’évolution industrielle et urbaine est certainement déclenchée, la routine rurale reste la même.

La moisson se fait à la moissonneuse tirée par deux vaches. C’est une faucheuse équipée d’un grand volant qui sépare les tiges en javelles. Ces javelles sont liées en gerbe à la main avec de la ficelle (chez certains avec des liens en paille de seigle) puis enlevées du champ par une charrette (c’est un art de savoir charger) et entassées en meules – le gerbier. Là encore, c’est à qui montera le plus joli gerbier ! il doit montrer une symétrie harmonieuse parfaite et une circonférence sans défaut, les épis tournés vers le centre. Un bon gerbier ne prend pas l’eau de pluie et résiste à la tempête. Il doit pouvoir attendre le jour indéterminé du battage et supporter sans souffrance les incidents météo.

La batteuse se déplace d’un gerbier à l’autre, tirée par des bœufs.

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La batteuse en action, aux Freyssinets, Saint-Avit du Moiron, vers 1880.

Elle se compose d’une machine à vapeur, avec une haute cheminée. Son foyer est alimenté au charbon (quelquefois au bois) par un mécanicien tout noir, couvert d’huile et de sueur. Ce moteur actionne 2 immenses roues servant de poulies qui, par une longue et forte courroie de transmission, mettent en marche une énorme machine à battre, au mécanisme compliqué – mais d’une robustesse à toute épreuve.

Tous les voisins (20 à 30), « suivent » la machine –ils se rendront les-uns aux autres le même service, ce qui fait que la campagne de battage dure 3 semaines à 1 mois. C’est une épreuve très pénible, d’effort intense en plein soleil d’août ! La journée commence et finit avec le soleil, bien entendu.

Le gerbier est avalé par la machine gerbe par gerbe. C’est le patron entrepreneur qui « engraine », c’est-à-dire qui engage les gerbes déliées à la main, dans la gueule d’entrée du monstre. C’est très dangereux. Les accidents se produisent trop souvent (si le doigt est accroché, c’est le bras qui est arraché quand ce n’est pas pire).

La paille séparée du grain est rejetée en hauteur par un monte-charge sans fin. Elle est assemblée par 5 ou 6 hommes en un pailler suivant des règles quasi architecturales : un pailler ne doit pas prendre l’eau… Il est fait pour 1 an ! On puisera dedans au fur et à mesure des besoins pour la litière des bêtes et… leur nourriture.

Les épis sont battus de manière à séparer la « balle » (les épillets) du grain dans le bruit assourdissant des ventilateurs.

Le grain coule dans le sac posé sur la bascule et dès que le poids de 81 kg est atteint (80 kg poids de l’hectolitre de blé + 1 kg, poids du sac), le préposé ferme la trappe, enlève le sac sur son dos pour aller le ranger au grenier tandis que le porteur suivant place un sac vide, ouvre la trappe, etc. (une journée à porter des sacs de 80 kg par de mauvais escaliers ou des échelles, c’est éreintant. C’est pourtant préférable aux autres services qui s’effectuent dans la poussière ; ça semble intenable, pourtant on tient, peut-on faiblir devant les autres ?).

Une autre trappe, à la sortie du trieur, permet de recueillir les autres graines et les grains cassés, d’un diamètre inférieur à celui du froment : pour l’alimentation de la volaille.

A midi (au soleil), coup de sifflet et la machine s’arrête. C’est le repas. Il est copieux, consistant, pour être réparateur, et riche en viandes. Les bouteilles de vin restent au frais dans des seaux d’eau.

On a trop souvent décrit ces repas pour s’y attarder. Mais la fatigue, la chaleur, empêchent souvent qu’on y fasse honneur, surtout s’il y a plusieurs gerbiers à battre dans la journée – 2,3, et parfois 4 ! car c’est une règle immuable : au rassemblement de l’équipe, 1er repas. Après la dernière gerbe, 2me repas. Au gerbier suivant c’est le même cérémonial… Faites le compte.

En 1939 on livre son blé en sacs au boulanger contre des bons de pain… (les grosses fermes le vendent). On est ainsi assuré d’avoir du pain toute l’année mais on est bien encore au XIXe siècle, rien n’a changé.

On ne dépique pas le maïs ! on l’égrène à la main ou à l’égrenoir à manivelle. Idem pour les fèves, les haricots… (On dépique au fléau – eh oui !).

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J’en reviens au métayage qui est certainement la forme la plus archaïque de culture et la plus désastreuse aussi. Comme toute association, le métayage suppose la perfection des parties. C’est la première alternative idéale. Le patron est intelligent et prêt à aider un métayer travailleur, actif, organisé, sobre… Malheureusement, il peut arriver que, deuxième alternative, le métayer soit borné ou flémard, ou ivrogne…

3ème alternative : le patron soit grippe-sous, autoritaire, fantaisiste, incompétent.

4ème alternative, le patron et le métayer ne valent pas mieux l’un que l’autre.

Au Maroc.

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J’ai connu au Maroc une autre forme d’association : le Khamsat (de Khamsa = 5) c’est-à-dire le partage au 1/5. Les propriétaires prennent un Khamssès commun pour cultiver leurs terres et à la fin de l’année on partage en 5 ! c’est donc pire…

Si le métayer n’est guère encouragé à planter un ombrage autour d’une ferme qui ne lui appartient pas, ni à améliorer un habitant qu’il peut quitter ou est susceptible de quitter au 31 août de chaque année, il jouit d’une certaine indépendance : il remplit un contrat – si désavantageux soit-il – mais reste maître chez lui. Que dire des ouvriers agricoles, journaliers et domestiques ! Ils sont logés (souvent très mal, dans un réduit près des bêtes : ça réchauffe en hiver !).

 Métayers et domestiques agricoles, vers 1880.

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jean-françois 571Ils bénéficient du dimanche après-midi à condition de venir faire téter les veaux et traire les vaches avant la tombée de la nuit… Le dimanche matin ils ont curé les écuries, les étables… Bien sûr, ils sont nourris, quelquefois très bien, quand la patronne n’est pas trop regardante (les bonnes cuisines attirent les domestiques, c’est bien connu). Le salaire est maigre et en pays de vignoble, l’ouvrier est souvent rémunéré en argent et en vin quotidien. La ration la plus courante est de 3 litres par jour (en dehors de ce qu’il boit à table) mais 5 litres ^par jour n’est pas exceptionnel… (j’ai connu 7 litres). Les « damnés de la terre », ce n’est pas une fable.

La condition du propriétaire est-elle enviable ? Lui, sa femme, ses enfants, les vieux s’il en reste, tous sont occupés du matin au soir. Pas de vacances en 1930. Le dimanche est juste marqué par l’office religieux pour quelques familles et encore ! la mère et la fille ou la grand-mère…

L’après-midi les grands enfants sortent, vont au bal, an cinéma, à la fête votive, mais les bestiaux et la basse-cour nécessitent les mêmes soins qu’à l’accoutumée : traite, tétées, herbe à lapins, gardiennage, toilette, etc., un incroyable esclavage. S’il rapportait de ll’argent, on l’accepterait facilement mais le vin et autres produits de la terre ne se vendent qu’à bas prix. Les terriens ne subsistent qu’au prix d’une économie sordide.

La guerre renversera les rôles. La paysannerie se requinquera : la flambée des prix agricoles, -pas seulement le marché noir – mais la rareté a mis en valeur la subsistance, car elle est essentielle, vitale.

Si le citadin a maigri, le campagnard s’est engraissé, il a de l’argent, mais… rien à acheter pour moderniser son exploitation ; çà viendra. 1950 peut être considéré comme le début de l’ère nouvelle.

Bref, le XIXe siècle a duré un siècle et demi dans nos campagnes".

Le bouvier et son attelage vers 1880.

vaches 2

La faucheuse neuve...

jean-françois 710

...en action.

jean-françois 764

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Commentaires
D
Hello <br /> <br /> I need to
Répondre
B
c'est génial de revoir ceci ...👍👏💋
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