Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le pays foyen
18 octobre 2007

L'image du monde

Les gens du pays foyen, presque dépourvus d’images jusqu’à la fin du 18e siècle, quelle image avaient-ils du monde ?

Pour répondre à cette question, j’ai choisi une période qui commence dans la seconde moitié du 16e siècle : les registres de délibération de la jurade ont été conservés depuis 1549 (à de rares manques près) et les registres de notaires, conservés à partir de 1554, sont de plus en plus nombreux à partir de la fin du 16e siècle. Je n’ai pas arrêté strictement cette période à la révolution française : tant de pratiques et de formes mentales ont survécu aux bouleversements de la révolution qu’elles sont nettement marquées dans les premières décennies du 19e siècle, quand certaines n’apparaissent pas de nos jours.

Le sujet ne s’y prêtant pas, je n’ai pas mené d’enquêtes systématiques, de sondages approfondis ni de relevés statistiques. Je propose un canevas argumenté, certes, dont on verra les limites : la mise en perspective est-elle pertinente ? Comment organiser une chronologie marquant telle évolution ? Ce canevas sera nuancé ou modifié par des recherches futures. Il comprend deux parties : les contraintes du travail et le regard des gens.

1 - Les contraintes du travail

Directement ou non, la société reposait sur l’agriculture. Le mouvement de reconstruction et de remise en valeur des tènements lancé après la fin de la guerre de Cent ans avait imposé une règle : pas de maison abandonnée, pas de terre laissée inculte. Ainsi, le 20 décembre 1512, l’abbesse de Ligueux, en Dordogne afferme « quelques maisons ruinées au Petit Ligueux » (l'actuelle commune de Ligueux, dans le canton de Sainte-Foy). Jusqu’à la fin du 18e siècle, les rappels de cette règle furent constants.

camif21    Extrait du plan du tènement des Terciers, à Pineuilh, en 1796.

On constate un premier souci d’efficacité dans l’aménagement des campagnes. Les maisons étaient groupées en hameaux et il n’y avait pas de maisons isolées. Autour du hameau s’étendait le tènement qui contenait les parcelles que ses habitants travaillaient. Il n’était pas question de perdre du temps en allant travailler sur des terres trop éloignées de son habitation. Ce fut ainsi jusqu’à la fin du 19e siècle.

Dans la journée, le rythme de travail était donné par le soleil : on se levait et on se couchait avec lui. Avant 1914, un tisserand faisait ses toiles dans la maison qui se trouve 79 rue Victor Hugo, à Sainte-Foy. Mon grand père me racontait que le tisserand avait tenu ce rythme de travail jusqu’à sa mort.

camif21    Atelier du tisserand, fabrication de la toile de chanvre (gravure de la seconde moitié du 19e siècle).

Tout était prétexte à travail : l’entretien des haies procurait des fagots avec lesquels on allumait le feu ou que l’on échangeait au tuilier contre des tuiles. Les tuiliers et les fabricants de chaux, installés le long de la rivière ou près des ruisseaux, passaient leur temps à faire des fagots, à préparer le sable, à fouler l'argile, à entasser des moëllons de calcaire, etc... Les bois fournissaient du travail à une multitude de gens : préparer des fagots et faire des bûches pour le chauffage et la cuisson des aliments, la bastide de Sainte-Foy représentant alors un gros marché, débiter des écorces de chênes et de châtaigniers qui donnaient le "tan" utilisés par les tanneurs foyens, etc... La vigne, le chanvre, les animaux de boucherie donnaient du travail à de nombreuses professions. "Il n'y a pas de sot métier, disaient les anciens, il n'y a que de sottes gens". Petit métier méconnu, celui de taupier que j'ai "rencontré" en pays foyen à la fin du 18e siècle et pendant tout le 19e. Au début du 20e siècle, il existait encore un taupier à Montcaret, M. Barret.

camif21    8 mars 1787, Jean Paris, le taupier de Thoumeyragues, compte trop cher les taupes qu'il a prises dans le jardin de l'Ormeau (actuelle commune de Port-Sainte-Foy) !

A la campagne, nombreux étaient les gens qui exerçaient d’autres activités en plus du travail des quelques journaux de terre qu‘ils possédaient : cabaretier, carrier, pêcheur, tuilier, etc... Cette diversification d’activités, fréquente sous l’ancien régime, s’est maintenue longtemps dans quelques rares cas : dans les années 1960, la famille Filet, à Saint-Rémy sur Lidoire, gérait son exploitation agricole et fabriquait des tuiles de façon artisanale. Longtemps, cette diversification s'est marquée dans les "joualles", qui sont ces alignements de légumes cultivés au centre des rangs de vigne. Il y avait encore des joualles sur le plateau de Couin, à Vélines, dans les années 1970.

camif21    La famille Pagès, vers 1880.

Quel était le but de la vie de ces tâcherons, si ce n’est la gestion du patrimoine, fut-il modeste, et la pérennité de la famille ? Autrement dit, pour reprendre la vieille devise, « maintenir » en s’avançant vers la mort. Maintenir, c'était se donner une descendance et, année après année, pour les ruraux, prévoir et préparer la future récolte. La transmission des savoirs était basée sur l’observation. Chez les artisans et les ruraux, les anciens ont connu ce système d’éducation qui consistait à dire au jeune, une fois pour toutes, « regarde comment je fais, et fais pareil ». En pays foyen, dans les années 1620, tous les artisans et leurs apprentis, à une exception près, ne savaient ni lire ni écrire et la compétence professionnelle tenait dans l’intelligence des mains : l’habileté, la précision, le bon goût et surtout, le sens du travail fini.

camif21    Les familles Maury et Fourcade vers 1880.

Le sens du travail fini, qui est l’expérience, s’exprime parfois a contrario ; ainsi, les notaires ont bien rédigé des engagements de maçons, de charpentiers et de tuiliers pour faire ou refaire une maison, mais, sous l'ancien  régime, je n’ai jamais trouvé de plan. L’entente était verbale et les anciens disaient volontiers : "la parole vaut l'homme ou l'homme ne vaut rien". On pouvait "s'en remettre" à celui qui était homme de parole et avait le sens du travail fini sans avoir besoin de plans.

A la campagne, la taille de la vigne et des arbres obligeait à prévoir les branches qui porteraient la prochaine récolte et celles qui donneraient la récolte suivante. Nous sommes toujours dans le cadre du sens du travail. Des anciens me disaient : « ne me demande pas pourquoi je fais comme ça, c’est le travail qui commande ». La routine s'installait dans ces prévisions à court terme, sans cesse renouvelées. Etonnante association de la compétence, de la routine et de la ténacité au travail !

camif21    Les métayers, dans le vallon des Philippons, à Saint-André et Appelles, vers 1880.

A la rigueur du savoir-faire s'ajoutait la rudesse du travailleur. Les contrats de métayage des 17e et 18e siècles qui détaillent les façons que le métayer sera tenu de faire montrent l'ampleur du travail à accomplir. M. Rebeyrolle, de Ligueux, me disait que son oncle, vers 1900, défonçait 100 mètres de rang de vigne dans sa journée, avec un benca. Le benca est une sorte de pioche à deux pics. Il le faisait sur deux épaisseurs, comme son père l'avait fait avant lui et avant son père, son grand père. Pendant des siècles, tous les vignerons procédèrent ainsi !

camif21    Gravure de la couverture des Annales de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Dordogne, en 1831.

Rien ne venait modifier ces pratiques ancestrales et la nouveauté était bannie. Malgré les conseils des physiocrates, au 18e siècle, et l'oeuvre des agronomes du 19e siècle, les ruraux du pays foyen créèrent peu de prairies artificielles. Ils le firent timidement à partir des années 1850 : les prés humides, en plaine et dans le fond des vallons n'avaient-ils pas toujours donné satisfaction ? On mesurera encore le poids de la routine en constatant les réticences des gens pour adopter le système métrique défini par la Révolution. Pendant les 4 premières décennies du 19e siècle, les préfets ne cessèrent pas de faire des rappels à l'ordre et, pendant tout le 19e siècle, les notaires foyens gardèrent à portée de main une table de conversion des journaux en hectares. En 1829 le négociant foyen Augustin Marrot acheta des terres à La Roquille, au lieu-dit "Les Galineaux" ; l'acte notarié donne leur contenance en hectare et en journaux. Plus récemment, dans les années 1960, on sait les réticences des vignerons devant les vignes hautes. A la même époque, les paysans utilisaient encore les balances romaines, tous les samedis, au marché de Sainte-Foy. Le poids d'un savoir-faire traditionnel s'est délité seulement dans les années 1950. Ce fut vraiment la fin des terroirs.

camif21    Les Eléments d'agriculture de Duhamel du Monceau dans l'édition de 1763.

camif21    Annales de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts du Département de la Dordogne, 1824.

A suivre...

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Le pays foyen
Newsletter
Publicité