Quand Judith de Reclus adopte la mode parisienne, à Ligueux, vers 1630
Datée de la première moitié du 17e siècle, voici une poésie bien tournée, en l'honneur d'une dame appréciée : Judith de Reclus. A l'époque, il y avait des Reclus à Sainte-Foy et à Ligueux. J'ignore à laquelle de ces deux famille appartenait Judith et, si je penche pour celle de Ligueux, c'est parce qu’à l’époque, le capitaine Pierre de Reclus habitait dans cette paroisse, au village des Crux. C’est un argument bien faible, j’en conviens. Peut-être s’agit-il d’une seule famille possédant à la fois une maison à Sainte-Foy et une autre à Ligueux.
Voici cette poésie :
Par tout l’univers on dict
Que Judith
De Reclus est la plus belle
De vraye et sans contredit
Que Judith
Est fort chaste damoizelle
Dans le palais de Judith
Dans son lict
Dans sa basse et haute chambre
Tous les atours du chalit
De Judith
Ne sentent que musc et ambre
Jamais le teint de Judith
Ne pallit
C’est une beauté sacrée
Tous admirent le crédit
De Judith
Sa vertu, sa renommée
Sa chevelure
Sa chevelure cendrée
Le ciel de ses dons bénit
La Judith
Luy favorise sa grâce
Son doux amant la chérit
La polit
Réjouit
Se sousrit
Se ravit
Lorsqu’il contemple sa face
Bref tout le monde prédit
Que Judith
Sera la plus noble dame
Car c’est un fort rare esprit
Qui reluit
Autour d’une sage femme.
Judith a toutes les qualités : elle est belle et montre un « fort rare esprit ». De son cadre de vie, seule sa chambre est citée : selon la mode de l’époque, c’est là qu’elle reçoit ses amis. Les « entours » du châlit de Judith ne sentent que musc et ambre, parfums fort à la mode au 17e siècle. A en croire Pierre Corneille, Martial, parfumeur à Paris, était en 1634 un des sujets ordinaires de la conversation dans le beau monde. Loret, le chroniqueur en vogue, le qualifie, en 1652, de « grand vendeur de musc et d’ambre ». On tenait donc Judith de Reclus pour une personne « dans le vent », comme on dirait aujourd’hui.
Que Judith soit domiciliée à Sainte-Foy ou à Ligueux, voire dans ces deux paroisses, qu’importe. Ce qui est intéressant de constater, c’est l’arrivée de la mode parisienne dans de petites localités. La poésie met en valeur les parfums, l’esprit et le caractère de la dame, sur un mode qui rappelle l’Astrée d’Honoré d’Urfé. La civilisation des mœurs est en train de s’épanouir. Peu à peu, apparaissent les armoires, la fourchette et ce langage que l’on surveille jusqu’à l’excès et qui fera le bonheur des Précieuses Ridicules.
Cette poésie montre qu’à Ligueux, on n’échappe pas à certains aspects de ce mouvement.
Notes :
- Le texte original de cette poésie est conservé dans le fonds Delpit, ms 214, des Archives municipales de Bordeaux.
- On trouve mention de Pierre Reclus ou Pierre de Reclus, capitaine, habitant à Ligueux et qui sait signer dans Arch. dép. Gironde, 3 E 20 978, f° 56 et 84, et 3 E 20 979, f0 70.
- Une Judith de Reclus épousa Hélie de Cosson, écuyer, seigneur de l'Isle, du Claux et de la Mothe-de-Lèches, en 1653 (M. de Courcelles, Dictionnaire universel de la noblesse de France, Paris, 1821). S'agit-il de notre Judith ?