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Le pays foyen
25 octobre 2007

Le regard des autres

J’ai choisi ce titre parce que le regard des autres était primordial. On citait les gens par rapport à leur famille et à leur patrimoine, et les anciens du pays foyen procèdent encore de même. Dans un vieux chant patoisant recueilli au Fleix (entre autres lieux) par l’abbé Casse et l’abbé Caminade, le pastoureau, que l’ange interpellait en français, lui répondait :

Ma prénè, créji, per manan

Dé me ténè ün tel léngatzé ?

Chey paouré, mé chey boun effan,

Nascu d’ün boun parentadzé ;

Un dé mous aïou sisqué antan

Counçul d’aquesté billatzé ».

La solidarité de groupe s’exerçait dans des domaines aussi divers que la vie quotidienne et la fiscalité. A Sainte-Foy, l’intérieur des quartiers était mis en jardins, sans barrières, avec des puits communs. Souvent, dans ces vieilles maisons à colombages, les greniers communiquaient.

Le premier terrier de Sainte-Foy fut rédigé en 1621 et celui de sa juridiction en 1624. Le terrier était la forme primitive des cadastres actuels. Chaque maison est désignée par celles qui la touchent, de chaque côté. Les montants individuels de la taille étaient déterminés en commun. Il en allait de même pour la dîme et les cotisations que perçurent les églises réformées.

Quand une personne achetait une maison ou une terre, elle procédait à une prise de possession. Devant les voisins assemblés, l'aquéreur ouvrait et fermait les portes et les fenêtres et allumait un feu dans la cheminée. A la campagne, le propriétaire se promenait sur sa terre nouvellement achetée et, devant un groupe de curieux, cassait une branchille ici et là et donnait un coup de bêche dans la terre. Parfois, il en faisait dresser un acte par le notaire.

Les réunions donnaient l’occasion d’échanger des nouvelles. C’étaient les rencontres autour du puits, dans les marchés réguliers qui se tenaient à Sainte-Foy ou ici et là, en pleine campagne (je vous parlerai de ces marchès ruraux un jour). Dans les paroisses rurales, se tenaient régulièrement des assemblées capitulaires pour discuter des affaires communes. Elles se tenaient le dimanche, devant l’église, après la messe. Elles étaient ouvertes à tous mais seuls les plus imposés de la paroisses avaient le droit de voter. Au 18e siècle, quelques assemblées capitulaires furent tenues en présence de notaires qui en laissèrent le compte-rendu. Je devrais encore citer les laveuses dont l’activité échappe à l’écrit. Des cartes postales des années 1900 les montrent très nombreuses sur les berges de la Dordogne, devant la ville. Les anciens foyens qui ont connu les dernières laveuses, dans les années 1950, avec leur brouette de linge, leur planche et leur battoir, les tenaient pour de fieffées bavardes.

camif21    Les laveuses sur les quais de Sainte-Foy et du port vers 1900 (Carte postale de Roquemaure).

Il faudrait évoquer les frairies, qui étaient les fêtes de village, les veillées autour de la cheminée, les marchés et les foires qui donnaient l'occasion de se retrouver et d'entretenir les solidarités.

Je ne sais pas comment s’exerçait le regard des autres en famille. Jusqu’à la fin de l’ancien régime et dans des cas très nombreux, jusque dans les années 1900, les petites gens habitèrent des maisons dépourvues de couloirs dans lesquelles on passait d’une chambre à l’autre pour aller dormir. La famille vivait « au pilot ». Le regard des autres, en famille, c'est aussi l'éducation des enfants et la conduite à adopter devant les autres. Vastes sujets qui n'ont pas laissé de trace écrite en pays foyen ou si peu...

Je vous signale un thème fascinant qui échappe lui aussi à l’écrit : l’arrivée des premiers miroirs en pays foyen. Jusqu’au 18e siècle, les miroirs étaient des accessoires rares que seuls les riches pouvaient acheter. En 1534, dans son « Gargantua », Rabelais décrivit son abbaye de Thélème et garda pour la fin la grande merveille des ameublements : dans chaque arrière-chambre se trouvait un miroir de cristal artificiel, si grand qu’il pouvait »véritablement représenter toute la personne ».

A Versailles, Louis XIV fit construire la galerie des glaces entre 1678 et 1684. Elle est longue de 73 m et large de 10,50 m. 17 fenêtres éclairent les murs revêtus de 357 miroirs. Dans le monde, ce fut la première fois que l‘on réunissait autant de miroirs constituant une telle surface totale. Les compilateurs d’ana citaient la comtesse de Fiesque qui, à la même époque, vendit une belle terre pour acheter un simple miroir.

A quelle époque les foyens aisés se dotèrent-ils de miroirs ? Je l’ignore. Peut-être à partir des années 1730, lorsque l’argent provenant de la vente des vins en Angleterre et en Hollande leur permit d’élever de petits hôtels particuliers aux caractères architecturaux résolument modernes pour l'époque. En même temps s’installait une nouvelle convivialité, on ouvrait sa bibliothèque aux ouvrages qui ont marqué « le siècle des lumières" et, dans les familles nobles, on demandait à un peintre de passage de faire son portrait.

Quelles furent la réaction de ces gens qui, pour la première fois, virent leur image dans un miroir ?

Longtemps, les gens du pays foyen ont vécu sous le regard des autres et, dans la période retenue, miroirs et portraits furent une exception.

Cette société liée à son terroir par le travail quotidien était marquée par de fortes solidarités et aussi par des rapports hiérarchiques : le tiers-état, avec ses ruraux, ses artisans et ses bourgeois, la noblesse et le clergé. Je l’ai noté dans un post précédent (le temps du patois), cette hiérarchie apparaissait dans l’usage des langues : patois, français et latin, et dans la façon de vivre des uns et des autres.

Les images citées au cours de ces réflexions se rapportent au clergé et à la noblesse. Ceux du tiers-état local utilisaient aussi bien des images : les métaphores qui émaillent le patois. Louis de la Bardonnie me disait : « Lorsqu’il a plu et que la terre colle aux chaussures, sur la rive droite de la Dordogne, on dit que la terre est amoureuse ; sur la rive gauche, on dit qu’elle est de bonne compagnie ». Avec un sourire gourmand, il ajoutait qu’il était heureux d’habiter sur la rive droite. On pourrait multiplier les exemples de métaphores. Je regrette de n’en avoir pas collecté un grand nombre du vivant de nos authentiques patoisants... Louis de la Bardonnie et M. Matignon m’avaient cité des histoires coquines garnies de métaphores. Ils prétendaient qu’elles étaient intraduisibles en français : « Il faudrait tout expliquer et elles perdraient de leur saveur ». Du coup, je ne sais pas si ces métaphores étaient régulièrement utilisées dans le patois journalier où si elles étaient réservées à des textes « fignolés ». De toute façon, c’étaient les images de ceux qui ne possédaient pas l’écrit.

Images et métaphores nous amènent aux capacités d'abstraction de ces petites gens de jadis. Deux systèmes sont porteurs d'abstraction : l'écriture et l'argent. Pendant la période considérée, peu de gens savaient écrire, autrement dit, peu de gens utilisaient l'écriture et les valeurs d'abstraction qu'elle représente. Je suis incapable de décrire l'usage que l'on faisait de l'argent. Beaucoup d'actes de notaires montrent son usage qui paraît constant et qui laisse dans l'ombre le paiement en nature, en travail et en biens immobiliers. Le paiement en nature et en travail apparaissent rarement dans les actes. Mener une recherche sur ces thèmes posera donc des problèmes de méthode.

Cependant, j'ai l'impression que l'argent constituait une équivalence tangible entre la somme de travail et la valeur des biens immobiliers. Dans ce cas, doit-on parler de la valeur d'abstraction de l'argent ou simplement d'une même expérience partagée par ses utilisateurs ?

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Commentaires
M
Cet article m'a fortement interessée. Merci.
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F
bravo, et merci de m' avoir permis d' aller à la rencontre de mes ancètres,de m'avoir rappelé mon adolescence.contine.<br /> bises,ta soeur.
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