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Le pays foyen
20 février 2009

Le mystère de la maison du 2 rue Roland Milon, à Pineuilh

"Venez voir la cheminée de ma maison, me dit M. Salgues, vous me direz peut-être ce que représentent ses motifs".

La maison se trouve à Pineuilh, 2 rue Roland Milon. J'y suis allé. Et comme j'étais venu voir la cheminée, je n'ai bien observé le parc et la maison qu'en sortant.

Voici la cheminée :

Photos_Agence_Juillet_08__33_

Voyons ses décors de plus près :

Chalet_006

... Et ceux des chapiteaux :

Chalet_007

Bizarre, comme c'est bizarre... La cheminée, la maison, le parc, quelque chose cloche. Pourtant, la maison n'a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat. Un mystère plane sur cette maison si bien ordonnée et enveloppe dans ses incertitudes le parc qui l'entoure.

Quel est ce mystère, quelle(s) piste(s) trouverez-vous pour l'éclaircir ?

A vous de jouer !

Voici quelques éléments pour vous mettre sur la voie.

D'abord, quelques essences d'arbres centenaires qui entourent la maison,  ensuite, deux photos de la maison et enfin, vraiment, je vous aide, une gravure de Férogio, extraite d'un ouvrage de la comtesse de Ségur (née Rostopchine), "Les Bons Enfants", publié chez Hachette en 1929.

- Essences d'arbres : un mélèze somptueux, un sophora japonica, un ginko biloba, un plaqueminier, un frène monophylle, un if, une bambouseraie, un maclura aurancatia, des magnolias, un chimonanthus praecox et un mahonia aquifolium.

Première photo de la maison :

Chalet_010

Seconde photo de la maison :

Photos_Agence_Juillet_08__1_

La gravure de Ferogio :

les_bons_enfants

Avez-vous assez d'indications ? Vous pouvez cliquer sur les photos pour les agrandir et voir les détails. Peut-être arriverez-vous à lire le nom de la villa, sur le panneau qui surplombe l'entrée : "Bernina".

Etes-vous déjà sur une piste ?

Si c'est la bonne, vous saurez dans quel bois est taillée la charpente !

...

Réponse dans quelques jours...

Début de réponse :

J'étais venu pour la cheminée, je commencerai donc par elle.

Photos_Agence_Juillet_08__33_

Chalet_005

Je suis incapable de définir son style et j'ignore si elle date de la construction de la maison. Elle associe la simplicité des lignes à des motifs détaillés : trident de Neptune, vases avec du feu et dauphins, sur le linteau ; dauphins entrelacés et feuilles d'acanthe sur les chapiteaux.

Chalet_006

Chalet_007

L'entablement de la cheminée, très large, devait recevoir une garniture. L'ensemble donne un sentiment de décor de théâtre à la mode dans les deux ou trois dernières décennies du 19e siècle.

Il faudrait examiner l'âtre pour savoir si son ouverture a été modifiée.

Enfin, il est certain que la peinture d'origine n'est pas celle que l'on voit aujourd'hui. Peintures et décoration ont été refaites. Cette cheminée a au moins un siècle. Les revues de l'époque nous donneront une idée des intérieurs de maisons bourgeoises, avec leurs tapisseries, voiles, rideaux, bibelots, tableaux et objets exotiques : un intérieur chargé, confortable, associant les meilleures productions de la technique et de l'art, aux objets rapportés de contrées lointaines par des voyageurs.

Revoyons maintenant le linteau de la cheminée :

Chalet_006

Les dauphins et le trident de Neptune évoquent la mer. Les dauphins protégeaient et guidaient les navigateurs. Quant à Neptune, il soulevait des tempêtes ou les calmait en agitant son trident. Ces deux symboles évoquent le voyage par mer, avec ses aléas et ses difficultés.

La forme des dauphins rappelle ceux que l'on voit sur tant de plaques de cheminées du 18e siècle, en pays foyen.

dauphin_001

dauphin_007

Une même stylisation de l'animal, et une même position en "chapeau de gendarme" marquent une continuité stylistique.

Le vase avec un feu rappelle la forme des vases "à la Médicis". Quel sens donner au feu ? la vie, le foyer familial, l'énergie maîtrisée, d'autres sens encore ? Je ne sais pas.

Les trois sens cités, pour les vases avec un feu, s'accordent avec la symbolique de la mer : ils évoquent les voyages réussis et le retour au foyer. Mais, ce sens que je dégage, est-ce celui que le commanditaire de la cheminée a voulu donner à ce décor ?

C'est la première énigme posée par cette maison mystérieuse. Elle appelle d'autres questions : quelle était la profession de ce commanditaire : marin, navigateur, officier de marine, armateur, négociant faisant affaire avec de lointaines colonies, ou tout simplement, riche bourgeois fasciné par la découverte du monde et de ses richesses qui se faisait sous ses yeux ?

Nous verrons que l'étude de la maison et du parc nous renverra à cette première énigme : le commanditaire de la cheminée appartenait-il à une famille enracinée depuis longtemps dans le pays foyen, et, avait-il une relation privilégiée avec la mer ?

A suivre.

Le chalet suisse de Pineuilh

La maison du 2, rue Roland Milon, à Pienuilh, est la copie d'un chalet suisse.

En France, ce type d'édifice a été à la mode à partir des années 1850. Les peintres, les écrivains puis les alpinistes ont fait découvrir les Alpes. Les deux aspects contradictoires de la montagne, les gouffres insondables et la majesté des paysages grandioses, suscitent des sentiments qui confinent au sublime.

Le chalet associe la simplicité à la robustesse, le confort au dépaysement.

En 1856, Jules Janin, écrivain et critique littéraire fait édifier un chalet suisse aux portes de Paris :

janin

Vers 1870, les frères Pereire font édifier leur fameuse villa à Arcachon :

pereire

Comparons le chalet des frères Pereire à la maison de M. Salgues :

Chalet_010

On pourrait esquisser une typologie du chalet suisse "girondin" : large avancée du tiers central du toit, usage important du bois, poutres apparentes esquissant le squelette de l'armature sur les murs de la maison, balcons sur piliers longeant la façade, voire les côtés de la maison, cheminées extérieures tubulaires...

Dans le chalet de Pineuilh, les terrasses et leurs piliers étaient à l'origine en pin rouge, le pitchpin, très prisé en pays foyen à la fin du 19e siècle. Tout comme la charpente.

Très peu de chalets suisses aussi représentatifs furent édifiés en Gironde. Voici celui de M. Salargue, près de Libourne :

salargue

Comment le chalet girondin peut-il faire corps avec le paysage qui l'entoure ? Le sable et les pins entourent le chalet des frères Pereire ; l'herbe et des bosquets de chêne, celui de M. Salargues.

A Pineuilh, le chalet suisse fut édifié en plaine, sur une terre grasse et humide qui n'a rien d'un environnement alpin. Cependant, deux arbres majestueux du parc, aux troncs énormes, rappellent la montagne : un mélèze et un pin du nord.

Le nom de la villa, "Bernina", prend alors son vrai sens. Il ne s'agit pas de la marque de machines à coudres mais d'un des plus vastes massifs montagneux de la Suisse, la Bernina.

J'ai ouvert la Nouvelle Géographie Universelle d'Elisée Reclus. Voici la carte de la Bernina, gravée par Charles Perron :

bernina 

Remarquez la petite ville de Poschiavo, au pied du pic de la Bernina. Sur la carte elle se trouve au sud-est du massif, c'est-à-dire, dans l'angle inférieur droit. Il en sera question plus loin.

Coïncidence : cet exemplaire de la Géographie Universelle vient d'une vieille famille foyenne et, dans les 882 pages de ce volume, seul le passage concernant la Bernina a été annoté au crayon à papier.

Pour "suivre la piste" suisse, il me fallait le nom des premiers propriétaires de la maison. M. Salgues m'a indiqué que, jusqu'en 1917, elle appartint aux époux Conzetti-Caratsch et Jeannot Besse précise qu'avant eux, elle fut la propriété de Clara Matossi. Je n'ai pas encore consulté les matrices cadastrales de Pineuilh. Pour le moment, comment se présente la piste suisse ?

L'annuaire de la France de 1917 mentionne le couple Contezzi-Caratsch comme propriétaire du manoir de Bourg-Dun, dans la "Seine-Inférieure", Cyril Labatut me signale que cette localité est près de Fécamps et de Dieppe.

Puis, le nom de Contezzi nous amène à Poschiavo : il figure dans cette localité des Grisons, et elle seule, dans l'annuaire de la Suisse de 1900 qu'heureusement, j'ai sous la main.

Le nom de Matossi nous emmène aussi en Suisse et en particulier, à Poschiavo ! Aujourd'hui, 36 Matossi figurent dans l'annuaire de la Suisse, 8 sont dans les Grisons et un à Poschiavo. Mais surtout, un des plus anciens édifices de Poschiavo est le palais Matossi.

Quelle relation entre Matossi et Contezzi ? Cette maison, la Suisse, des affaires, une parenté ? J'en saurai un peu plus quand j'aurai consulté les vieilles matrices cadastrales de Pineuilh.

Le chalet suisse de Pineuilh appartenait à des gens extrêment riches et pose la question des émigrés suisses en pays foyen, dans la seconde moitié du 19e siècle. J'avais noté la venue à Sainte-Foy de pâtissiers et de chocolatiers suisses, à cette époque, et j'enrage, parce que je ne sais pas où j'ai mis cette note. Il y eut aussi les familles Reinhart et Aukenthaler.

Enfin, si la maison évoque la Suisse, la cheminée évoque les voyages en mer. Les arbres du parc, originaires de Chine et du Japon indiquent des destinations probables. Nouvelle énigme, nouvelle piste à suivre...

Photos_Agence_Juillet_08__3_

Pour résumer :

La maison est un chalet suisse édifié en plaine, à Pineuilh, vers 1870. Des arbres du parc rappellent la montagne et le nom du chalet est celui d'une chaîne grandiose des Alpes suisses, la Bernina. Je souhaite pouvoir écrire un jour l'histoire de cette maison : date et contexte de la construction et de ses modifications architecturales.

Il s'agit d'une des premières maisons bâties à la campagne en dehors des hameaux. C'est le début d'une mutation considérable dont il reste à définir la nature, et à étudier l'évolution et les conséquences.

Ces premières maisons furent souvent édifiées le long des routes principales, à la sortie de Sainte-Foy. Aucune ne réunit les caractères des chalets suisses avec autant de cohérence et de perfection que le Chalet de M. Salgues ; mais beaucoup présentent tel caractère. La mode du chalet suisse a marqué longtemps les esprits. Elle s'est adaptée aux budgets et au goût du jour, en renouvelant sans cesse l'aspect pittoresque de la "villa". Les foyens aisés de la belle époque se reposaient en famille, le dimanche, dans ces villas. Ce n'est pas les kilomètres parcourus qui procuraient un dépaysement mais le pittoresque de leur "chalet", de leur "cabanon", et le style de vie qu'on y menait. 

Les décors de la cheminée évoquent des voyages maritimes vers des destinations lointaines, peut-être la Chine et le Japon : des arbres du parc proviennent de ces deux contrées.

Les noms des deux premiers propriétaires se rattachent à la Suisse et en particulier, à la petite ville de Poschiavo, située près du massif de la Bernina. Les annuaires foyens de l'époque ne citent pas ces noms.

Il reste à brosser le portrait des deux premiers propriétaires de la Bernina. Ils illustreront probablement l'arrivée d'émigrants suisses en pays foyen, dans la seconde moitié du 19e siècle.

Bibliographie :

- Chalets rustiques. La vie à la campagne, numéro du 15 juin 1913.

- Michel Vernes, Le chalet infidèle ou les dérives d'une architecture vertueuse et de son paysage de rêve. Revue d'Histoire du XIXe siècle, n° 32, 2006.

- François Walter, La montagne alpine : un dispositif esthétique et idéologique. Revue d'Histoire moderne et contemporaine, t. 52-2, 2005.

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Commentaires
M
Merci ...pour Jean Numa G peut être contacter Jacqueline G ou Michel G ( mais il est fatigué )
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L
Maïté, je vois Mme Reinhart âgée, entrant dans le temple, à Ste-Foy, avec ses trois filles, Mmes Gaulhiac, Auckenthaler et Dagassan. Il faudrait étudier la vie de Jean-Numa Gaulhiac. Il créa un établissement balnéaire à Mourennes, qu'il appela "Mourennes les bains", à la fin du 19ème siècle.
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M
Très intéressante étude ..je me souviens effectivement que chez Jeany Reinhart épouse Dagassan ( ma belle mère à une époque ) on évoquait une arrivée à la fin du 19 e siècle en provenance non pas de Suisse mais du lac de Constance (?) le couple Reinhart et ses 3 filles habitaient le « château de Richelieu » à Pineuilh à la sortie de Ste foy vers Bergerac ...
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P
je vois les extraits de plaques, (photos de détails) j'ai ce modèle avec dauphin et un berger jouant du pipeau sous des ramures, mais elle est cassée j'en cherche une, savez vous si je peux en trouver ?
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M
Il y a des cheminées dans toutes les pièces de la maison au rez de chaussée et au 1° étage .Elles n'ont aucune ressemblance avec celle décrite dans cet article.Elles sont en marbre gris, rosé,blanc et d'une forme disons plus "classique ", moins hautes et plus sobres.Je crois qu'à part la découpe du dessus et la taille des montants qui varie de l'une à l'autre elles n'ont pas de" décoration".
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