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Le pays foyen
1 septembre 2011

Du témoignage, Jean Lamothe

M. Jean Lamothe a donné son témoignage à M. Puyaubert, voir le cahier des Amis de Sainte-Foy déjà cité.

Le 17 février 2011, j'avais écrit à M. Lamothe pour lui signaler les erreurs et les confusions qu'il avait commises et lui demander des précisions. Je n'ai pas reçu de réponse. "Je ne veux pas soulever cette boue", m'a dit plus tard M. Lamothe. Formule passe-partout qui évite de remettre en cause des souvenirs qu'on marque une fois pour toutes du sceau de la vérité. Cependant, erreurs et confusions subsistent.

Il est nécessaire de les dissiper.

Voici un exemple. M. Lamothe écrit (p. 61) : "Les autorités françaises, La Milice de Périgueux, vraisemblablement, ont réquisitionné des jeunes - dont une vingtaine de foyens parmi lesquels je me trouvais - pour effectuer le drainage de la vallée de la Beune, entre les Eyzies et Sarlat... pendant l'été 1943".

L'assainissement de la Beune ne fut pas effectué en 1943 mais en 1941. Bien avant la création de la Milice - La Milice fut créée le 31 janvier 1943. Le contexte dans lequel M. Lamothe place cette opération ne tient plus.

En 1941, les denrées coloniales n'arrivent guère en métropole, l'approvisionnement est de plus en plus difficile et le rationnement a été instauré depuis longtemps. Dès l'arrivée au pouvoir de Pétain, l'administration a relancé la production agricole, ouvert de nouveaux chantiers et mis en place les corporations paysannes.

C'est dans ce contexte qu'est décidé l'assainissement de la Beune. Maurice Labarthe, le préfet de la Dordogne, lance les travaux dans l'enthousiasme. Les premiers travailleurs furent 150 Indochinois qui résidaient dans la région de Bergerac.

Pourquoi de jeunes foyens participèrent-ils à ces travaux, durant l'été 1941 ? Parce qu'ils furent volontaires, parce que leurs familles les y avaient autorisés - M. Jean Lamothe avait 15 ans et demi dans l'été 1941, parce qu'ils n'avaient pas pu faire autrement, parce qu'ils ont été emportés par l'esprit de solidarité et la nécessité de redressement national qui soulevait alors une majorité de Français ? S'agit-il de démarches individuelles ou collectives, dans le cadre de l'école ou d'une association ?

Cet été 1941, les copains d'une même classe de l'Ecole Primaire Supérieure de Sainte-Foy travaillent dans la vallée de la Beune. Ce camp d'été a-t-il été organisé dans le cadre scolaire ? C'est une hypothèse et pour le moment, la plus sérieuse. M. Jean Lamothe pourra peut-être donner des éclaicissements. A défaut, il suffira de consulter les Archives départementales de la Dordogne.

En tout cas, ces jeunes ne furent pas réquisitionnés. 

beune

Les travaux sur la Beune, été 1941.

M. Jean Lamothe apporte une indication précieuse : un jeune réfugié foyen, de confession juive, participe au camp de la Beune. Or, le second statut des Juifs date du 2 juin 1941 et, dès son arrivée au pouvoir, Pétain n'a cessé de prendre des mesures qui excluent les Juifs de la vie de la nation. Le 29 mars 1941, le maréchal a promulgué une loi créant le "Commissariat général aux questions juives". D'août à octobre 1940, la Petite Gironde publie 47 articles concernant des mesures et des informations antisémites et raciales.

La situation peut paraître paradoxale : le témoignage de M. Lamothe n'aborde pas les mesures antisémites prises par Pétain. Banalise-t-on alors les mesures qui visent les Juifs et que la presse publie régulièrement ? A-t-on d'autres priorités ? Est-on pris par l'obligation d'assumer le quotidien : manger, prévoir le nécessaire du lendemain et le chauffage pour l'hiver - gestions du quotidien familial et du quotidien collectif ? Approuve-t-on ces mesures "justifiées" par une propagande efficace ? Il n'est guère possible de s'indigner et de manifester publiquement son opposition.

M. Lamothe n'aborde pas ces questions.

L'observateur d'aujourd'hui méconnaît souvent l'importance de l'adhésion d'une multitude de Français aux principes et aux pratiques de la Révolution nationale du maréchal Pétain. En juin 1941, une semaine après la promulgation du second statut des Juifs, le pasteur Boegner, président de la Fédération protestante de France donne une conférence à Sainte-Foy. Il souligne l'analogie entre les valeurs du protestantisme et celles de la Révolution nationale - Boegner préfère utiliser la formule de "Rénovation nationale", chère au maréchal Pétain. Devant le public foyen, le pasteur cite les valeurs communes au protestantisme et à la Révolution nationale de Pétain : "honnêteté, probité, dévouement, conscience, droiture, pouvoir". Il conclut en demandant à son public et en particulier aux protestants d'apporter "tout leur appui" au maréchal.

C'était quelques semaines avant l'inscription des élèves foyens au camp de la Beune.

Dans le second semetre 1941, la presse collaboratrice rendit compte de ce travail exemplaire, un parmi tant d'autres que Vichy avait entrepris : les marais de la Beune étaient devenus une vaste rizière, lisait-on.

beune 1

Dans les marais de la Beune, été 1941.

On constate que recueillir ses souvenirs près de 70 ans après la période évoquée n'est pas chose facile. Tel fait reste en mémoire parce qu'il a été marqué par l'émotion. Mais comment éviter que "la charge émotionnelle ou dramatique voulue par l'auteur" (p. 29) ne l'amène à en faire trop ?

P. 63, M. Lamothe témoigne : "Engagé dans les FFI, je suis parti vers la poche de Royan de juillet 1944 à mars 1945". Erreur : les résistants foyens sont partis pour la poche de Royan le 6 septembre 1944 au petit matin.

Cette erreur s'ouvre sur un étonnant pataquès de souvenirs. M. Lamothe poursuit : "C'est pourquoi, pendant la bataille de Sainte-Foy, j'étais en dehors de la ville, côté Pont de la Beauze". La "bataille de Sainte-Foy" consiste en combats qui opposèrent résistants et Allemands dans la première quinzaine d'août 1944. M. Lamothe ne peut pas se trouver en même temps à Royan et au Pont de la Beauze.

"On a su tout de suite qu'arrivait une colonne Allemande venant de Marmande".

Cette colonne venait-elle de Marmande ? Elle arrive en fait par Les Lèves et atteint le Pont de la Beauze où M. Lamothe dit s'être trouvé. "Ce n'est pas possible qu'elle soit passée par le Pont de la Beauze, me dit M. Lamothe que j'ai interrogé, au Pont de la Beauze, le pont avait sauté, ils ne pouvaient pas passer". Le pont avait effectivement sauté mais une passerelle en bois avait été installée. Des soldats allemands sont passés à pied, avec leurs chevaux. Les véhicules sont repartis dans la colline pour atteindre Sainte-Foy par la route de Gagnard. Au Pont de la Beauze, les Allemands ont tué Pierre Liévens, ils ont blessé mortellement M. André Clerjeau, ils ont arrêté Jean Blondel, le maire de la commune et plusieurs domestiques agricoles. Au Pont de la Beauze, les troupes allemandes ont laissé des marques terribles de leur passage et notre témoin n'en a rien vu.

beauze

Où se trouvait M. Lamothe pendant l'été 1944 ?

De son témoignage, il ressort qu'il se trouvait dans trois endroits différents pendant cet été 1944 : "dans les bois de Fraisse" puis à Monfaucon (p. 62), à Royan, et enfin, au Pont de la Beauze(p. 63). Les seules activités qu'il rapporte se sont passées à Monfaucon et dans les environs du Fleix. Ces activités sont au nombre de trois : déterrer des containers, miner une route et faire sauter des ponts. Rapportées à des documents de l'époque, le journal du capitaine Coste et celui de Loiseau, qui furent tenus au jour le jour, et aux témoignages d'anciens membres du groupe Loiseau, ces activités apparaissent comme des fictions (déterrer les containers et faire sauter le pont se Coutou) ou sont par trop imprécises (miner une route).

 

Lisons M. Lamothe, p. 62 : "Grâce  à Monsieur Durand, le patron de la tuilerie au Fleix, qui connaissait bien tous les trous d'argile, nous avons déterré des centaines d'armes cachées dans une excavation. Il y avait là des containers renfermant des mitraillettes Sten, des munitions, un fusil antichar, 3 ou 4 mines et plusieurs bidons de plastique". Un parachutage avait en effet eu lieu et quatre containers avaient été récupérés. Deux furent cachés dans des localités de la rive droite de la Dordogne et deux dans des localités de la rive gauche. Rive droite, un fut confié au tuilier Durand et l'autre fut emporté par Loiseau à La Force. Au Fleix, il n'y eut donc pas "des containers", mais un container. Durand cacha ce container dans le vieux four inutilisé de sa tuilerie et non dans une excavation creusée dans l'argile. Les anciens du groupe Loiseau aidèrent Durand à cacher le container puis, après le débarquement, à le récupérer. D'après l'un d'eux, présent lors de la récupération du container dans le vieux four, M. Lamothe n'était pas présent.

P. 62, M. Lamothe témoigne : "Nous avons utilisé ces explosifs sur la route de Mussidan pour protéger notre position" (il s'agit de plastic provenant "des containers"). Le journal du capitaine Coste et celui de Loiseau signalent que des mines ont été placées sur plusieurs routes. M. Lamothe ne donne aucune précision : "la route de Mussidan" va du Fleix à Mussidan, et Jean Lamothe mentionne "notre position" sans la situer. Il est donc impossible de confronter son témoignage à des documents d'époque et au témoignage des membres du groupe Loiseau toujours en vie.

P. 63, "Nous avons utilisé le plastic pour faire sauter le pont sur le Coutou et le pont sur le Seignal". Le pont sur le Coutou n'a jamais sauté. Il était surveillé jour et nuit par des soldats allemands.

Ce témoignage commence par un pataquès mémoriel et se termine par des invraisemblances historiques qui sautent aux yeux de tout lecteur ou que les documents d'époque réfutent. L'expérience montre qu'il est difficile de donner une chronologie précise plusieurs décennies après les faits cités. L'entretien semi directif permet au témoin d'éviter cet écueil. Il s'agit, pour M. Jean Lamothe, de mettre de l'ordre dans ses souvenirs.  

Voir l'album :

 

 

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Commentaires
J
Monsieur,<br /> Il ne s'agit pas d'une contre-enquête mais d'une critique interne, base de la recherche historique. La critique interne contribue à cerner le sujet d'étude et à éviter "les outrances et les simplifications de l'imagerie héroïque" que vous citez. C'est l'"antidote" essentiel des jugements de valeur hâtifs : l'historien n'a pas à juger.<br /> L'historien peut travailler sur le dit et sur le non-dit, quelle que soit l'importance de celui-ci.
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F
Disons que la part du non-dit ne me parait pas mince dans votre contre-enquète. (Mais ce n'est qu'une impression ; je ne suis pas asez au fait de l'histoire (et de la petite histoire) foyenne pour décider du bien fondé de cette impression). Disons surtout que d'une façon générale, c'est que l'historien se fasse juge qui me déplait. Sinon, rien ne me gêne ni ne me parait pas convenable - et surtout pas qu'on établisse que « les outrances et les simplifications de l'imagerie héroïque n'épargnent pas la mémoire protestante des années noires » (Pierre Laborie, in "Les Français des années troubles)
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J
Monsieur Talmont,<br /> <br /> Est-il anormal de signaler les limites d'un témoignage et de faire la part du dit et du non-dit ? Faut-il s'en tenir au "convenable" ? Je pose à nouveau des questions. Vous y répondrez si vous le voulez, avec ce petit plus d'honnêteté que vous me demandez et que vous ne réclamez pas aux "témoins" qui eux, tournent autour du pot sans déballer leur sac ni prendre de risque. Ne serait-ce que celui de vous déplaire.
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F
Vous avez une façon de poser les questions qui donne à penser que vous avez, pour le moins, une idée de la réponse (ceci valant surtout pour la note précédente.)Alors bon : si vous arrêtiez de tourner autour du pot et vous décidiez à déballer votre sac, ce serait plus risqué, certes, mais peut-être une tout petit peu plus honnête, non ?
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