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Le pays foyen
12 septembre 2014

Vigne et vins en payx foyen

On ignore quand apparurent la vigne et le vin dans notre moyenne vallée de la Dordogne. Quelques découvertes archéologiques et de rares textes montrent que des villas gallo-romaines s’entourèrent de vignes, et exportèrent aussi des vins d’Italie.

A partir du 11ème siècle, des textes de plus en plus nombreux jalonnent une histoire riche et variée qui a marqué le pays foyen jusqu’à nos jours. Il faudrait rédiger un ouvrage pour l’évoquer. J’ai retenu quelques faits essentiels selon le plan suivant :

1 - L’extraordinaire renouveau viticole du 11ème siècle.

2 - La longue lutte contre le protectionnisme bordelais.

3 – L’essor durable de la viticulture foyenne au début du 17ème siècle.

4 - Le commerce avec la Grande Bretagne et la Hollande au 18ème siècle.

5 - Le renouveau du vignoble après la crise du phylloxéra.

6 - La délimitation des régions viticoles.

* * *

1 – L’extraordinaire renouveau viticole du 11ème siècle.

La Réforme grégorienne s’applique à la moyenne vallée de la Dordogne à la fin du 11ème siècle. Des moines venus souvent de fort loin obtiennent des seigneurs locaux qu’ils restituent les biens ecclésiaux dont ils s’étaient emparés : les églises elles-mêmes, des fermes, des terres, des bois, et diverses taxes. De nombreux dons s’ajoutent aux restitutions. Le réveil religieux s’accompagne d’un élan économique spectaculaire : des terres sont emblavées, d’autres sont défrichées, défoncées et plantées en vignes. Le pain et le vin sont les deux espèces de la communion et aussi, la base de la nourriture. Les moines de Saint-Florent de Saumur s’installent à Montcaret où ils apportent la vigne et leur savoir-faire. Le bois du Trouillet s’étend sur Razac, Saussignac et Monestier. En 1079, la famille comtale du Périgord donne aux moniales de Saint-Sylvain de La Monzie un domaine en vignes situé dans ce bois. On avait déjà défriché des parcelles de la forêt pour complanter en vignes et on continua. Vers l’an 1100 ; le seigneur de Pineuilh donne le manse du Vinayrols aux bénédictins de Conques et ce nom de Vinayrols évoque la vigne. Ces exemples, et d’autres, montrent l’essor considérable du vignoble, conforté par le développement du marché anglais dans la seconde moitié du 12ème siècle.

Aux 11ème et 12ème siècles, s’affirment deux caractères durables de la viticulture dans notre région : la vigne est un élément important d’une polyculture comprenant terres à blé, potagers et vergers, cochons, ovins, bovins et volailles. Vendu dans les tavernes du coin ou en Angleterre, le vin fait rentrer de l’argent frais dans une économie amplement marquée par le troc.

2 - La longue lutte contre le protectionnisme bordelais.

Les dernières décennies de la Guerre de Cent Ans ruinent le pays foyen. Des bandes de soldats, pillards et des épidémies ont décimé ses habitants. Après la bataille de Castillon (juillet 1453) et le départ des Anglais qui administraient l’Aquitaine depuis trois siècles, l’administration royale française relance l’économie du duché d’Aquitaine, tombé directement sous sa coupe. Elle fait appel à des migrants venus de zones extérieures à la région sinistrée. Pour des sommes modestes, ils louent des hameaux avec les terres qui en dépendent. Ils relèvent les ruines, ils défrichent les terres abandonnées et les remettent en culture. Ils donnent leurs patronymes aux tènements dans lesquels ils s’installent : les Bournets, les Sivadons, les Cocullets, les Guignards, les Goulards, les Briands, etc. Ces noms de lieux-dits et tant d’autres existent toujours et ont marqué le renouveau économique amorcé dans les années 1470.

La première génération de migrants accomplit un travail extraordinaire : au début du 16ème siècle, l’économie est solidement relancée, en particulier la viticulture et la vente des vins. De son côté, Bordeaux se réserve la priorité de la vente de ses vins sur les marchés extérieurs, en particulier, en Angleterre. Elle gène et diffère la commercialisation des vins des hauts pays dont font partie les vignobles foyens. Les barriques doivent jauger 200 litres et non 220 ; les Foyens ne peuvent faire descendre leurs vins sur la Dordogne, par gabarres, que dans le mois de décembre. Bordeaux et ses filiales, dont Saint-Emilion, ont déjà vendu les leurs. Enfin, chaque bourgade assise sur la rivière prélève un droit de péage et les vins qui arrivent de loin payent d’autant plus cher.

En 1502 et 1503, Gensac et Sainte-Foy négocient avec Bordeaux des conditions de commercialisation plus avantageuses. Avec le temps, ces transactions ne satisfont personne et les conflits se renouvellent. Les Foyens saisissent la justice et groupent autour d’eux des terroirs viticoles allant de Duras à Rauzan et jusqu’à Fougueyrolles et au Fleix. C’est le pays de Nouvelle Conquête. Les procès s’enchaînent jusqu’à la saisine du Conseil d’Etat en 1636. Cette instance suprême prononce un arrêt provisoire que les Foyens remettent en question génération après génération. En 1789, rien n’est décidé. La Révolution française balaye ces dissensions et les procès qui duraient depuis trois siècles. La commercialisation des vins devient libre et leur appréciation reste fondée sur la notion subjective de leur qualité, mise en valeur au 19ème siècle et inscrite dans le cadre légal des appellations d’origine au 20ème siècle.

3 – L’essor durable de la viticulture foyenne au début du 17ème siècle.

Cet essor est dû à la bourgeoisie foyenne et montre l’importance de sa place et de son rôle dans tous les aspects de la vie sociale depuis le repeuplement de cette région, entamé dans les années 1470. ces bourgeois sont des marchands, des médecins et des chirurgiens, des notaires et des gens de robe.

Pendant le 16ème siècle, les bourgeois foyens achètent des propriétés aux alentours de la bastide. Un Goulard s’installe à Saint-Nazaire, et ses deux frères à Pineuilh, aux Terciers et à Cazenac. Un Lajonye s’établit aussi à Saint-Nazaire. Des membres de la famille Papus constituent de vastes domaines à Pineuilh, sur le flanc des coteaux, aux Pététies, à La Rayre et à La Brande Guiboireau qui prendra le nom de Papus à la fin du 16ème siècle. On multiplierait les exemples de ces bourgeois foyens qui prennent une place prépondérante et commencent à envisager une alliance avec des familles nobles, quand ce n’est pas un titre de noblesse. Certains y arrivent au début du 17ème siècle.

Pendant la seconde moitié du 16ème siècle, ils continuent d’accroître leur patrimoine et ce dynamisme est lié aux progrès de la Réforme.  En 1542, le Réforme arrive à Sainte-Foy et s’étend rapidement dans tous les groupes sociaux. En 1561, les protestants chassent prêtres et moines et détruisent ou endommagent la plupart des églises du pays foyen et des couvents de Sainte-Foy. Il n’y a plus de service religieux catholique jusqu’en 1622 et surtout, la perception de la dîme est désorganisée[1]. C’est alors que les bourgeois foyens, qui ont tous embrassé la foi réformée, en profitent pour accroître leur patrimoine, et ce mouvement s’amplifie au début du 17ème siècle. Ainsi, à Pineuilh, Etienne Fauveau étend ses possessions dans le vallon des Anguilhères et son voisin, le notaire Vidal, fait mettre en vigne les parcelles qu’il vient d’acheter et qui porteront dorénavant son nom, Les Plantes de Vidal[2]. A Ligueux, Margueron et ailleurs, Etienne Goutte achète des propriétés qu’il fait mettre en vignes. En pays foyen, le vignoble s’étend. Dans quelle proportion, s’agit-il d’un mouvement local, les vignes nouvelles donnent-elles du vin rouge ou du vin blanc, à quels marchés la production est-elle destinée, autant de questions auxquelles la documentation disponible ne permet pas d’apporter des réponses, comme il est très difficile de distinguer les retombées de cet essor sur la société foyenne d’alors.

A partir de la fin du 16ème siècle et pendant tout le 17ème siècle, les riches familles bourgeoises foyennes confortent leur préséance et l’installent dans la durée. Leur déclin est effectif dans les années 1950.

4 – Le commerce avec la Grande Bretagne et la Hollande au 18ème siècle.

En octobre 1685, Louis XIV considère qu’il n’y a plus de protestants dans son royaume et révoque l’Edit de Nantes. A Sainte-Foy, qui fut une place-forte protestante, les temples ont été démolis et de nombreux huguenots se sont déjà expatriés avec leur famille. Ils se sont établis à Bristol, en Angleterre et surtout en Hollande, à Rotterdam et à Amsterdam. Là-bas, la liberté de foi religieuse leur est accordée. Ils ne tardent pas à établir des relations commerciales avec leurs parents et amis restés en pays foyen. Ils achètent les vins foyens et les revendent dans leur pays d’accueil. Il est impossible de mesurer le flux économique généré par ces exportations de vins foyens, mais on constate son ampleur.

En pays foyen, l’argent frais arrive en abondance au moment où s’exprime le besoin d’une sociabilité nouvelle. La bourgeoisie locale se lance dans le Siècle des Lumières et elle en a les moyens. A partir de 1730, de riches viticulteurs se font construire des hôtels particuliers à Sainte-Foy et surtout dans la campagne proche. On en compte plusieurs dizaines. On se reçoit beaucoup et l’aménagement de ces nouvelles demeures en témoigne : un couloir central dessert un salon et un bureau, d’un côté, une salle à manger et la cuisine, de l’autre. Cartels, régulateurs, miroirs et eyguières en faïence ornent les murs. Des armoires imposantes, aux galbes séduisants, se généralisent. On fait faire son portrait par des peintres itinérants. On constitue des bibliothèques, on lit, on discute et, dans les dernières décennies du 18ème siècle, une société littéraire se réunit régulièrement à Saint-Avit du Moiron. Déjà, en 1745, une loge maçonnique a été ouverte à Sainte-Foy, la seconde en Aquitaine après Bordeaux.

Les recettes manuscrites de l’époque font la part belle aux ratafias et aux alcools : ils stimulent la convivialité des réceptions, libèrent les esprits et dénouent les langues. A cette époque, la bonne société du pays foyen profite d’une douceur supplémentaire : les vins blancs moelleux dont elle développe et affine la production. Vers la fin du 18ème siècle, on apprend à faire vieillir les vins rouges et à bien gérer leur conservation.

L’argent provenant de la vente de ses vins en Hollande installe Sainte-Foy dans le Siècle des Lumières.

5 - Le renouveau du vignoble après la crise du phylloxéra.

Entre 1872 et 1876, le phylloxéra attaque les vignes du pays foyen. Les propriétaires aisés luttent contre le fléau en arrosant les pieds de vigne ou en utilisant des traitements phytosanitaires. Les petites gens n’ont pas les moyens d’appliquer ces traitements coûteux. Ils s’embauchent dans des domaines importants et travaillent leurs vignes le soir et les dimanches. Le baron de Gargan, industriel lorrain, vient d’acheter le domaine des Vergnes, aux Lèves. Il crée une société qui commercialise des produits phytosanitaires, il les utilise dans son vignoble, il fait arroser ses vignes et il embauche de nombreux petits propriétaires des Lèves et des communes voisines. Il est un précurseur de la lutte contre le phylloxéra et il est à l’origine du modernisme de la viticulture locale.

Il y a d’abord un renouveau avec l’utilisation générale de porte-greffes américains. Certes, ici et là, le phylloxéra se maintient de façon endémique jusqu’en 1910. Cependant, la disparition des vignes anciennes et le renouveau des cépages s’accompagnent d’une évolution considérable dans la viticulture. Le savoir-faire reste constant, même s’il s’affine, mais les outils et les techniques connaissent une mutation sans précédent. Chaque aspect de la viticulture est touché, du travail de la vigne, jusqu’à la commercialisation des vins. A cette époque, le fil de fer se répand. Finis les pieds de vignes ramassés autour de leur carrasson. Les vignobles changent d’aspect et on se rend compte que la feuille est le poumon de la vigne. Le fil de fer et son support, le carrasson, symbolisent le passage d’une vigne ancestrale au vignoble actuel. Et c’est justement l’exemple que donne M. Pioche, responsable du vignoble des Lèves, en juillet 1892, pour affirmer cette volonté de perfection que partagent ou doivent partager, selon lui, les viticulteurs du pays foyen : « Ici, l’administrateur cherche à ce que l’intelligence se révèle dans chaque carrasson, c’est-à-dire que rien ne nous est indifférent, tout à son but ». Tout, ce sont les moyens mis en œuvre pour produire le meilleur vin possible : la mise en état des vignes, des chais, l’utilisation de matériels efficaces – par exemple, des charrues en fer remplacent les vieilles araires en bois, les pressoirs cylindriques horizontaux et mécaniques se répandent, etc., sans oublier l’usage contrôlé de produits phytosanitaires. On constate que presque tout le matériel viticole utilisé aujourd’hui a pour origine lointaine celui qui vit le jour après la crise du phylloxéra.

Quand au savoir-faire, il ne s’agit pas, alors, de faire de son mieux en appliquant des méthodes validées par la routine, mais de fournir le meilleur vin possible à une clientèle parfois lointaine. Le chemin de fer arrive à Sainte-Foy en 1875 et, depuis la gare, les viticulteurs s’ouvrent à des marchés éloignés : toute la France, bien sûr, l’Europe occidentale, le Maghreb et jusqu’à la Russie.

Le savoir-faire traditionnel s’enrichit d’une exigence de qualité et de la rigueur et du dynamisme apportés à la commercialisation des vins du pays foyen.      

6 - La délimitation des régions viticoles.

Longtemps, viticulteurs et acheteurs ont comparé la qualité et le prix des vins de divers terroirs. Ces mercuriales sont de plus en plus nombreuses à partir du 18ème siècle. Au 19ème siècle, des manuels signalent les spécificités des terroirs viticoles : nature des sols, des cépages, qualités des vins, quantités produites, etc. Pour le bordelais, ce sont Cocks[3] et Féret[4]. De son côté, le législateur définit et délimite les diverses régions viticoles de France. Dans la mosaïque de terroirs qui composent alors la France, il distingue et officialise les spécificités viticoles.

Au début du 20ème siècle, la commission d’historiens chargée de ce travail pour la Gironde se ressent du corsetage administratif de la 3ème République en se tenant aux limites administratives des départements et des cantons. Les viticulteurs du Fleix, de Port-Sainte-Foy et de Fougueyrolles avaient toujours commercialisé leurs vins comme étant de Sainte-Foy. Ils protestent vivement, arguments à l’appui… sans succès.

Ce classement fut entériné en 1919. En juillet 1937 et décembre 1938, deux décrets donnèrent une définition des vins de l’appellation Sainte-Foy-Bordeaux, résumée ainsi : « A la limite des départements de la Gironde et de la Dordogne, se trouve la région de Ste-Foy-Bordeaux. Elle produit des vins blancs qui doivent leur qualité à la présence de cépages fins de la Gironde. Ses vins rouges ont du corps et une certaine finesse qui les fait apprécier à juste titre. Degré minimum : Rouges, 9°5. Blancs, 10° »[5].  

Nos viticulteurs connaissent ces textes et savent encore mieux la sévérité du cahier des charges : ce n’est jamais que la continuité de l’exigence de perfection qui s’était imposée il y a plus d’un siècle, après la crise du phylloxéra.

En mai 2013, le Syndicat des Vins de Sainte-Foy-Bordeaux a fêté ses 75 ans d’existence. 75 ans d’existence officielle et un millénaire de tradition viticole, ce n’est pas anodin.

Quittons cette dynamique de groupe, pour ne pas dire ce groupe dynamique, pour accompagner le vigneron dans sa vigne. Chacun de ses gestes répond à une nécessité. Il organise le travail que lui commande sa vigne. Il est à son service, au service de son vin, au service de ses clients, comme le furent tous ses prédécesseurs depuis un millénaire.

Versez du Sainte-Foy-Bordeaux dans votre verre et, avant de le déguster, observez votre entourage. Chaque dégustateur a son rituel de gestes, parfois très élaboré. Un vin fameux se boit religieusement, disaient nos anciens, et le mot de rituel est celui qui convient.

Cependant, parler de la relation entre le viticulteur, son vin et celui qui le déguste est une autre histoire, comme disait Rudyard Kipling, même si cette histoire est passionnante.


[1] Dans l’archiprêtré de Sainte-Foy, la dîme se payait au onzième des récoltes et des animaux de croît (tous les animaux de la ferme, animaux domestiques exclus).

[2] Il existe un lieu-dit Les Plantes de Vidal à Saint-Antoine de Breuilh.

[3] Charles Cocks, Guide de l’étranger à Bordeaux et dans la Gironde. Bordeaux, ses environs et ses vins classés par ordre de mérite. Féret et fils, Bordeaux, 1850.

[4] Edouard Féret, Statistique générale de la Gironde, tome II par Eugène Vergez, Classification des vins, Masson & Féret, Paris-Bordeaux, 1874.

[5] Annuaire des marques et appellations d’origine des vins, eaux-de-vie et spiritueux de France, Poinsot, Paris, 1942, p. 502.

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